Un doigt d’asile sauvé au tribunal

Le 13 décembre 2011

L'Office français en charge des réfugiés est condamné pour "atteinte grave et illégale au droit d'asile". Selon une décision de justice rendue à Melun que nous publions. L'administration voulait écarter les demandeurs aux doigts mutilés. Suspects de tricherie.

Le Tribunal administratif de Melun vient de condamner l’Office de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra) pour “atteinte grave et manifestement illégale [au] droit constitutionnel d’asile”, selon une ordonnance du 8 décembre 2011 que nous mettons en ligne. En cause, une note interne, dont OWNI avait révélé l’existence. Dans ce document, le directeur général, Jean-François Cordet, demandait aux officiers d’opposer un rejet systématique aux demandeurs d’asile dont “l’extrémité des doigts est délibérément altérée” avant même que les demandes soient examinées.

En se mutilant les doigts, à l’acide ou au fer rouge, les “doigts brûlés” tentent d’échapper aux procédures dites de Dublin II. En vertu de ces accords européens, les demandeurs d’asile doivent déposer leur dossier dans le premier pays à avoir pris leurs empreintes. Mais ces pays périphériques de l’Union européenne, la Grèce, la Slovénie ou la Bulgarie, acceptent peu de demandes. D’où la volonté d’y échapper en tentant sa chance ailleurs.

Motif humanitaire

Dans sa défense, reproduite dans l’ordonnance du juge (voir ci-dessous), l’Ofpra a déclaré “qu’il convenait de décourager la pratique dégradante de mutilations des demandeurs d’asile en rejetant les demandes sur lesquelles on ne pouvait avoir des éléments concernant l’identité de l’auteur”. Un motif humanitaire qui fait sourire Gérard Sadik, responsable de l’asile de l’association La Cimade…

Saisi sur un cas individuel, le Tribunal administratif s’est opposé à cette nouvelle politique de l’Ofpra. Dans son ordonnance le juge des référés rappelle :

Le droit de solliciter le statut de réfugié et de demeurer en France le temps nécessaire à l’examen de la demande constituent pour les étrangers une liberté fondamentale.

La décision de l’Ofpra de ne pas examiner la demande d’asile de M. A. est dès lors suspendue et le juge des référés “enjoint au directeur général de [l'Ofpra] de statuer sur la demande d’asile de M. A. dans un délai de quinze jours”.

Prérogatives outrepassées

À l’Ofpra, le directeur de cabinet, Patrice Baudouin nous a expliqué avoir convoqué l’intéressé pour examiner sa demande, comme l’ordonne le tribunal administratif. Il ajoute :

Il n’est pas impossible que nous fassions appel de cette décision devant le Conseil d’Etat. Le service juridique étudie toutes les possibilités.

Ni l’avocate de M. A., Me Mazas, ni Gérard Sadik ne s’avancent sur la direction que pourraient prendre les juges de la plus haute juridiction administrative en appel. Pour Me Mazas, l’Ofpra a outrepassé ses prérogatives avec cette note interne. “Si la législation doit changer, c’est au législateur de se prononcer ! Un débat doit avoir lieu au Parlement” plaide-t-elle.

Selon Patrice Baudouin, de l’Ofpra, des centaines de cas de demandeurs aux doigts mutilés auraient été recensés ces derniers mois :

Il s’agit surtout de Somaliens, d’Erythréens et de Soudanais. Ces six derniers mois, les préfectures en ont compté entre 500 et 600.

Une réalité que nuance Me Sophie Mazas. Au-delà des “doigts brûlés”, les demandeurs d’asile vivant dans la rue ont souvent les mains abîmées, rendant leurs empreintes illisibles.

Des dizaines de requêtes à venir

Au moins cinq requêtes ont été déposées depuis cette date et ont abouti à l’annulation des rejets a priori au motif que les empreintes étaient altérées. Des dizaines suivront dans les jours qui viennent, indiquent La Cimade et le Gisti, une autre ONG de défense des immigrés. Le tribunal administratif de Melun a aussi été saisi pour faire suspendre cette note, de façon collective et non plus individuelle comme dans l’ordonnance de M. A. Il s’est déclaré incompétent, renvoyant la requête devant le Conseil d’Etat.

Cette condamnation de l’Ofpra intervient alors que se durcit la demande d’asile. Le 2 décembre, le conseil d’administration de l’Ofpra a ajouté quatre pays à la liste des pays sûrs : l’Arménie, le Bengladesh, la Moldavie et le Monténégro. Cette liste comprend les pays qui veillent “au respect des principes de la liberté, de la démocratie et de l’Etat de droit, ainsi que des droits de l’homme et des libertés fondamentales”.

Les demandes des ressortissants sont examinées en procédure prioritaire qui garantit moins de droits aux demandeurs (voir la visualisation en bas de l’article). Cette décision a provoqué l’ire des organisations de défense des immigrés qui ont rappelé que cette notion était discriminatoire et contraire au principe de l’asile, fondé sur l’individu et non la nationalité.


Illustration de Loguy et Marie Crochemore [cc-byncsa]

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