Sidaction: des sous, on verra après ?
Sous prétexte de discriminations, la prévention du SIDA auprès de la communauté homosexuelle de France est particulièrement à la traîne.
Vous avez passé un bon week-end ? M’enfin, c’était le Sidaction ! Cachez votre joie ! Oui, je sais, c’est totalement soporifique. Et le pire, c’est que plus c’est ennuyeux, et plus les gens donnent. Donc, il n’y a pas eu à mettre un échec des donations sur le Pape cette année, ou sur la Libye, ou même sur le Japon. Tout c’est bien passé. Et, comme chaque année, le sujet des gays, champions des contaminations par VIH dans notre pays, est resté à la trappe. Trop stigmatisant dit-on.
Alors, le VIH explose-t-il chez les gays ou pas ? Le Sidaction ne nous l’a pas dit. Pourtant, d’un pays à l’autre, les chiffres ne se ressemblent pas et malgré des pratiques sexuelles globalement équivalentes, l’épidémiologie se différencie d’année en année. Explications.
En Angleterre, les dernières données montrent que le nombre de gays séropositifs a doublé en dix ans. À Amsterdam, les gays qui se contaminent par le virus de l’hépatite C (VHC) se re-contaminent une seconde fois après traitement avec des souches résistantes. En Suisse, 84% des personnes nouvellement contaminées (surtout les hommes) le sont par un virus résistant aux principaux antirétroviraux.
A force de choper des gonorrhées (chaude-pisse), les traitements standards sont moins efficaces chez les hommes. Et la meilleure (si on peut dire) : à force de sucer tout et n’importe quoi, le lien entre fellation et cancer se précise. Mais à San Francisco, pour la première fois, le nombre des nouvelles contaminations a chuté de 36% en deux ans, — et c’est un chiffre très important, une tendance à la baisse qui semble se remarquer aussi au Canada et en Australie. En France, on est toujours dans la stabilité avec 7.000 nouvelles contaminations, dont la moitié pour les seuls homosexuels, concentrés dans des régions ciblées comme Paris.
Que faut-il en penser ? Est-ce que les gays de certains pays ont davantage de pratiques à risque ? Est-ce que les campagnes de prévention et le Traitement en tant que prévention (TasP) commencent à produire des effets en Californie ? Est-ce que les gays anglais sont plus idiots qu’ailleurs ? Et les Allemands? Comment expliquer ces disparités régionales ?
Réponse: les gays prennent d’énormes risques sexuels partout.
Certaines grandes capitales ont beau disposer de sexshops, de backrooms, de bordels et de lieux de drague en extérieur – ne parlons même pas d’Internet – , les pratiques sexuelles sont homogènes chez les gays des pays riches. De plus en plus de partenaires qui choisissent de ne pas utiliser le préservatif, pour des raisons multiples, des jeux érotiques à base de sperme dans les fellations, une banalisation des fists et des godes qui ne sont pas anodins en termes de fissures de l’anus et du colon, beaucoup de bouffage de cul (rimming), beaucoup de sexualité de performance avec des séances qui durent longtemps, voire tout un week-end.
Les gays organisent leur sexualité d’une manière toujours plus sophistiquée, selon un agenda serré, avec parfois plusieurs partenaires par jour, certains réservés à l’avance comme lors des week-ends passés à l’étranger. Quand on va à Berlin, on a déjà préparé depuis sa maison un plan cul à 11h, un autre à 16h, un dernier à 23h. Un million et demi d’homosexuels sont déjà sur Grindr, l’application de géolocalisation qui permet de trouver un mec n’importe où, même pendant les week-ends chez ses parents. Il n’y a pas de temps à perdre, c’est la beauté du tableau de chasse et de l’accumulation.
Avec une telle multiplicité des rapports sexuels, dont une grande part de rapports à risque, les taux de contamination devraient logiquement exploser. Or, 10% d’augmentation par an en Angleterre n’est pas réellement ce qu’on appelle une « explosion ». Ce n’est pas le taux de progression dont je parlais dans mon livre The End (vers 2005, il y avait des progressions de 12 à 15%), mais à l’époque je redoutais surtout un taux de progression de 15 à 20% avec une épidémie qui doublerait tous les 5 ans, ce qui aurait été symboliquement désastreux. Les gays anglais sont « parvenus » à doubler leur épidémie du sida en une décennie alors que les premiers cas datent de 1981. Ce qui veut dire, à la louche: 1981 / 2001 = 2001 / 2011.
Ce qui est déjà inquiétant, mais je veux ici revenir sur quelque chose que je ne cesse de répéter depuis des années. Dans les pays comme l’Angleterre ou l’Allemagne, l’épidémie n’a jamais été aussi puissante qu’en France car les gays ont été particulièrement safe pendant les vingt premières années de l’épidémie et il y avait cinq fois moins de sida qu’en France. Pareil en Espagne aussi où la majorité des cas de sida provenait de la communauté toxico.
Amsterdam, le VHC, la syphilis, le LGV… « Gezellig ! »
Amsterdam, c’est différent car la Hollande dispose depuis toujours d’une scène cuir et SM très active. L’épidémie de LGV, une infection extrêmement rare en Europe il y a encore 10 ans, est apparue là -bas et ce n’est pas un hasard. Avec des sex clubs hard dans lesquels on ne rigole pas, des pratiques insertives audacieuses, des contaminations par VHC exacerbées par des muqueuses malmenées, tout concourt à faciliter les portes d’entrées du VIH et de tous les autres petits germes et virus qu’il faut ensuite soigner.
Pourtant, l’article d’Aidsmap montre un effet nouveau. Les gays hollandais attrapent le VHC, sont dépistés, disposent d’un traitement lourd contre l’hépatite C. Parmi eux, certains ont de la chance : les nouveaux traitements puissants, mieux tolérés, fonctionnent, ils guérissent leur hépatite. Mais cela ne leur a pas servi de leçon et ils attrapent à nouveau le VHC, très contagieux, et en plus – surprise, avec des souches résistantes qu’ils contribuent à répandre. C’est la preuve flagrante que pour certains le fait d’attraper une gonorrhée, une syphilis ou une (rare) LGV n’est pas toujours un rappel à l’ordre de la prévention.
Ils reviennent à leurs pratiques à risques avec l’avantage d’avoir été dépistés à temps, bien soignés et dès leur convalescence terminée, ils chopent à nouveau l’infection dont ils viennent de se débarrasser. Si l’hépatite C ne fait plus peur aux gays, alors que faut-il leur montrer comme épouvantail ? C’est un des grands paradoxes de ce moment dans l’épidémie: les traitements marchent, même pas peur, on poursuit les mêmes risques, précisément parce que les médicaments sont là . Talk about santé publique.
À SF, le TaSP, le Prep et TIM…
San Francisco est à part. Là on est dans un Amsterdam +++. Non seulement la scène hard est institutionnalisée, des sex-clubs qui se targuent d’être les plus érudits avec des machines qu’on n’a pas ici, des sites Internet avec les plus beaux mecs du monde, une disponibilité sexuelle qui fait partie de l’identité de la municipalité. Et il a, bien sûr, l’effet d’entraînement de toute l’industrie porno gay qui est basée en ville avec l’influence déterminante de Treasure Island Media, le studio bareback le plus connu au monde.
La ville a toujours été le laboratoire d’idées pour le sexe pas safe, mais c’est aussi un laboratoire d’idées pour les campagnes de prévention, de testing, de dépistage rapide, de TasP et de PreP – même s’ils ont du travail à faire sur le traitement post-exposion, le TPE. On peut donc imaginer que les initiatives massives d’information parviennent à réduire l’augmentation des contaminations, malgré une sexualité encore plus hard qu’ailleurs.
Tout ceci devrait nous inciter à surveiller toujours plus davantage ce qui se passe dans nos pays voisins ou même éloignés. En France, le milieu associatif semble se mobiliser lors du Sidaction, mais surtout pour se plaindre de la baisse des crédits accordés par le gouvernement aux associations. Bien sûr, ils ont raison. Mais leur travail est si pathétique que l’on se demande s’ils ne prêtent pas eux-mêmes le flanc à de telles restrictions budgétaires.
Quelle est leur réussite sur la prévention ? À part le SNEG, qui affronte les vrais sujets ? A-t-on déjà oublié le scandale des finances de Aides ? Et surtout, qui fait du dépistage rapide de nos jours ? On nous fait croire que le dépistage rapide avance, mais il fait du surplace. À Marseille ou dans les villes de province, c’est pratiquement un secret. Est-ce que les gays sont au courant ? Et s’ils le sont, sont-ils vraiment poussés à recourir au dépistage rapide ? Est-ce que les rares adresses de dépistage rapide à Paris sont prises d’assaut par les gays ? Est-ce que l’on utilise cet outil fantastique pour dépister davantage dans les Antilles et en Guyane ?
Non à toutes les questions.
Dépistage en France ? Le plan galère
En Afrique, il est possible de se dépister soi-même, via son téléphone portable, ce qui permet de ne pas faire des kilomètres et des kilomètres pour atteindre un centre de dépistage. Et les africains le font, sans être obligés. Voilà des initiatives modernes via portable qui font avancer le schmilblic de la prévention bien mieux que le pilulier électronique à la mord-moi le nœud.
Le TasP, ou Traitement as Prevention, est un canard boiteux en France, avec une ministre de la santé si inefficace que tout le monde se désintéresse d’elle, attendant les prochaines échéances électorales. Résultat: encore une année de prévention perdue pour tous. Pour que le TasP soit efficace, il faut à la fois dépister en masse et offrir des traitements à toutes les personnes séropositives qui le veulent. Comme à San Francisco.
Mais ceux qui sont chargés du dépistage rapide en France font semblant de rejeter la faute sur Bachelot, alors qu’on sait bien qu’ils marchandent leurs offices pour recevoir de l’argent. « Mais il faut former tous ces volontaires pour le counseiling ! » disent-ils. « Il faut pérenniser l’action ! ». Comme s’il fallait une maîtrise en communication pour parler de gay à gay et leur donner le résultat d’un test en leur faisant tout le topo de prévention. On sait déjà tout ce qu’il faut dire. Pendant ce temps, une infime partie des gays ont recours au dépistage rapide. Même autour de moi, les gens sont tellement peu motivés qu’ils continuent à aller où ils allaient avant. Et chaque test au Chemin Vert coûte beaucoup plus cher qu’un simple piqûre au doigt, je vous assure.
Les associations se « mobilisent » pour le Sidaction avec toujours les mêmes jérémiades. On parle toujours et encore d’un vaccin qui n’arrivera JAMAIS et Sidaction cautionne ça au lieu de parler des sujets vraiment importants. Parler des gays à heure de grande écoute et dire que c’est le groupe qui nourrit la contamination en France ? Mais ce serait de la discrimination ! Comment voulez-vous envoyer de l’argent difficilement gagné de nos jours à une structure qui, année après année, reste si aseptisée qu’elle a du mal à prononcer le verdict le plus important de l’épidémie française ? C’est ça l’urgence, pas le vaccin qui n’intéresse que l’industrie pharmaceutique et qui détourne des millions d’euros qui devraient être dépensés ailleurs, sur le terrain, tout de suite !
Vous voulez dire que vous nous demandez de l’argent qu’on devrait donner au Japon ? Tout ça pour financer des associations que personne n’écoute et qui bénéficient des 35 heures et des appartements de fonctions pour leurs anciens présidents ? Mais ce mouvement associatif montre bien son visage, un an avant l’arrivée possible de la gauche à la présidentielle. Il est mou, incroyablement mou. On commémore trente années d’épidémie à travers le monde et que les chiffres et les mots deviennent vides de sens, comme les personnes qui les prononcent.
Article initialement publié sur Minorités
Photos flickr CC Stéfan Le Dû ; José Orsini
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