Une semaine sur Atlantico, ou comment j’ai essayé d’être de droite

Le 8 mars 2011

Pendant une semaine, Antoine Mairé a consciencieusement navigué sur le nouveau "pure-player" français. Récit d'une métamorphose.

J’ai toujours adoré être de gauche. Le plaisir de s’indigner dans l’odeur de merguez relevée d’un peu de bonne conscience. La volupté d’être du bon côté. Il y a une semaine, voilà qu’un site me propose de virer ma cuti. Diantre. Moqué vigoureusement comme un Rue89 de droite, sous prétexte qu’il est notamment financé par Charles Beigbeder (encarté au Parti Radical) et Arnaud Dassier (directeur de la campagne de Nicolas Sarkozy sur le Web en 2007), et qu’il regroupe une liste de contributeurs plus proches de la croix de Lorraine que de la faucille et du marteau.

Ce lundi 28 février, Jean-Sébastien Ferjou, directeur de la rédaction, le répète à l’envi et à l’assemblée présente lors de la présentation du site : ce n’est pas un site de droite mais un “facilitateur d’infos”. Beigbeder insiste :

Ce n’est pas un site de droite, mais un site pluriel qui ne s’interdira pas de travailler avec des contributeurs de droite.

Arnaud Dassier précise qu’il a “travaillé en tant que prestataire pour l’UMP et non en tant que militant”. Et au fond, c’est quoi le problème ? Auraient-ils honte de défendre des opinions droitistes ? Comme s’il était mal vu d’être politiquement orienté de l’autre bord des trotsko-fascistes qui garnissent – n’est-ce pas ! – les rangs des rédactions parisiennes. Pour mieux comprendre l’idéal d’Atlantico, je décide de suivre au plus près les publications du site pendant sa première semaine. D’un lundi à l’autre, au coude à coude avec mon désir d’avenir libéral, voici ma tentative de virage à tribord.

Lundi. 11h, le site est lancé, je mets du coeur à l’ouvrage : je veux me droguer de liens, taper dans la poudre de synthèse d’autres articles, sniffer de la ligne éditoriale, me rendre addict d’une information équarrie par les dix journalistes agrégateurs. En quelques minutes, j’ai de quoi me piquer d’avis définitifs à droite toute ! Rouspéter contre les sarcasmes après l’allocution télévisée de Nicolas Sarkozy, hum c’est bon ça. Soutenir Christian Jacob dans sa tentative de destabilisation populiste de Dominique Strauss-Khan, oh oui vas-y ! Admirer la réforme Pécresse, han tu vas trop loin là.

23h, mon dernier shoot a la forme d’une cerise sur la gâteau : une tribune sous forme d’anathème jeté sur cet ami des bien-pensants, Stéphane Hessel. L’auteur m’a ouvert les yeux.

À la manière d’Hugues Serraf, transfuge de Rue89, je souhaite de tout mon coeur de pierre refuser le conformisme rampant des moralisateurs tiers-mondistes. J’ai envie d’être le prochain sur la liste des ces “entrepreneurs [français] qui, avec le développement d’Internet, sont ouverts à l’innovation et davantage prêts à conquérir le monde. J’ai comme une soudaine envie de lip dub.

Leur problème

Mardi. La France doit se lever tôt, 5h48, je prends le métro. Je compte bien afficher ostensiblement mes nouvelles idées. Mais comment s’exposer sans un Figaro pages saumon ? J’ai donc acheté un iPad, couleur rouge Louboutin. Je prends la ligne 6 en sifflotant. “Auteuil-Neuilly-Passy, c’est Atlantico, Auteuil-Neuilly-Passy, tel est notre crédo”. Je croise Jean-Pierre, le sans-abri de la station Trocadéro. Je lui fais un sourire et lui dépose deux euros. C’est important que chacun fasse un geste envers les démunis, surtout si les gens me voient. Et puis c’est toujours ça que l’État ne me prendra pas comme aurait pu dire l’auteur de L’État minimum, Guy Sorman [en]. Au sujet de la polémique Galliano, Sorman analyse :

Zemmour n’aime pas les Arabes et Galliano n’aime pas les Juifs : c’est leur problème.

J’opine du chef en guettant les trois nécessiteux venus chanter Guantanamera avec leur accent de l’Est. Ils me dérangent et c’est mon problème. Demain je prendrai le taxi.

18h, je prends du rab, via la colonne de droite, celle des liens. Tout en haut, trône une réhabilitation de John Galliano. Je commence à aimer ça, être libre de ton.

Mercredi. Je me plie à l’obsession d’Atlantico pour la brièveté. Jean-Sébastien Ferjou assume le supposé diktat d’un Internet zappeur. Deux jours après le lancement, le site est un recueil de nouvelles quand d’autres usent de romans-pavés. Hasta siempre la concision ! Les articles sont tellement courts que parfois même pas finis. Mais pas de mauvaise foi, on appelle ça “une brève”. Et peu importe que les brèves se multiplient comme des emplois fictifs : 47 liens pour Galliano en une semaine. Si facilitateur que ça ?

Le soir, paix des âmes. J’attaque la partie people du site, Atlantico Light, sorte d’info édulcorée par les pépées botoxées. Ferjou ne s’interdit pas de parler de Lady Gaga ? Mieux, la robe “gênante” de la fille de Madonna en 4×3 et les photos nues à venir de Lindsay Lohan. Dès lors, je guette chaque soir, avant d’aller rêver à un monde meilleur (mais pas trop), des révélations sur la sexualité de Nadine Morano.

Un air de Nagawika

Jeudi. Alors que les draps se souviennent de Nadine Morano, je me réveille avec la volonté vaillante de comprendre l’Internet et me connecte au dossier qui lui est consacré. J’y découvre, ébahi, qu’on peut draguer sur la toile ! Afin de me préparer au mieux à mes futures rencontres IRL, je me passionne pour le cosplay parce que, apparemment, c’est l’avenir. L’avenir des années 80, mais un avenir quand même. Cela me donne envie de mettre enfin la main sur cette nouvelle console qui permet de jouer à la guerre grâce à des manettes (la Xbox je crois). C’est en tout cas ce qui semble être la chose à faire d’après Nathalie Joannès qui décrypte la “mouvance geek”, ces “dandys technoïdes” qui achètent (TOUS !) des tablettes à 1000 euros. Je retrouve mon âme d’enfant comme quand on chantait Nagawika en classe de mer organisée par l’aumônerie catholique de Rennes.

Vendredi. Je fais la nique aux trotskistes. Je me sens boosté par les propos d’un investisseur cité anonymement par Stratégies, qui fait partie de l’aventure, et qui déclare vouloir se “distinguer nettement des autres médias dominant le Web, dirigés et lus pour la plupart par la génération 68 et ses jeunes disciples, qui plaquent leur vision idéologique sur le monde moderne.” Aux armes ! Débarrassons-nous des profiteurs vivant au crochet de la société, ces utopistes à barbe de 5 jours comme les squatteurs de Jeudi Noir qui ne semblent pas être tant que ça dans le besoin… Ah elle est belle l’exemplarité ! Quand bien même l’intervention de la police rue de l’Université [vidéo] semble avoir eu lieu devant le bâtiment, et que les interpellés soient des militants ou journalistes en fonction. Hum. Je ne me laisse pas sensibiliser, et pars de ce pas à la chasse aux Enfoirés, ces inscrits à l’ISF qui osent défendre les démunis. Je me gargarise, de plus, de ce discours officiel condamnant les agissements des impétrants squatteurs, rédigé par les Jeunes UMP. Je me refais un lip dub.

Samedi. Il est 14 heures, j’angoisse. L’idée de croiser un ressortissant de la cause rouge me pétrifie d’avance. Alors que je dégustais mon cinquième éclair aux pécans sur lit de canneberge attablée dans le fond du Café de Flore, on me dit que des communistes se sont glissés dans la salle. La peur m’étreint comme si un Rothschild devait traverser la cour d’un collège de ZEP. J’aperçois une écharpe rouge. Mon dieu, Il s’approche de moi ! C’est Christophe Barbier, ouf, sauvé.

16h, je me sens d’autant plus sauvé que la gauche semble au bord de l’implosion : les enfants Hollande-Royal ne souhaitent pas voir leurs parents s’affronter dans la course à la présidence de la république. Quant à savoir si le journalisme est sauf, c’est une autre histoire. La gauche est tellement mal que d’après Hugues Serraf, elle devrait s’inspirer de Villepin. Déjà qu’à l’époque où elle était au pouvoir (ça remonte à tellement loin ahah !), elle faisait des choses pas jolies jolies… Décidément, aujourd’hui, la vie est belle comme un second tour à 83%.

Ultime tentation

Dimanche. Je suis tiraillé par l’idée de passer définitivement à droite. Comme un dernier sursaut. Mon incertitude est alimentée par l’invitation de Nicolas Sarkozy à Lionel Jospin d’être utile à la République. Je suis par ailleurs gêné par le traitement qu’Atlantico réserve au discours présidentiel sur les origines chrétiennes de la France : il est équilibré. Entre analyse apolitique, témoignage d’un curé et invective d’une membre du Haut conseil à l’intégration. Pire ! Ils osent publier un article écrit par un gauchiste. Le coupable s’appelle Gaël Brustier et est dit “engagé au PS” ; son crime est d’analyser la popularité de Marine Le Pen en… déresponsabilisant la politique de Nicolas Sarkozy. Ah en fait tout va bien. Je suis d’autant plus rassuré qu’un commentaire à l’article m’indique que “le gouvernement de M. Sarkozy a pris toutes les mesures qu’il faut pour faire baisser le chômage, intégrer les immigrés et augmenter le pouvoir d’achat.”

Lundi. J’ai tout lu. À grands renforts de tribunes lyriques, j’ai un avis sur tout, je suis prêt à affronter n’importe quel débat et à empêcher de penser en rond. Indignez-vous, je vous attends. En revanche, pour ce qui est des reportages et des sujets sociaux, Atlantico s’en bat l’os. En conséquence, ce matin-là, je viens reprendre mes 2 euros à Jean-Pierre de la station Trocadéro. Et puis, de vous à moi, s’il est dans la rue, c’est pas ma faute mais c’est la loi de l’offre et de la demande. Tiens, j’ai un appel de Liliane en absence. Il faut que je lui parle de la suppression de l’ISF.

22h, ma semaine s’achève sur un air réactionnaire. Je crois être guéri du gauchisme. Peu importe que le “vent nouveau sur l’information” mentionné comme slogan soit un vent d’après-midi d’août circulant autour d’un kir et d’un Valeurs Actuelles posé à l’ombre de ma terrasse privative ; un vent nouveau qui convoque le fantôme d’Albert Londres mais en portant davantage la plume dans le plaid ; un vent nouveau porté par des éditoriaux qui passionnent surtout l’éditorialiste qui a sa bio sur le côté. Oui peu importe, car il est beau et fier ce libéralisme au slip rembourré qui exalte mon patriotisme de légionnaire néo-colonial. Alors pourquoi se cacher d’aimer ça ? Grâce à Atlantico, j’adore être de droite.

Crédits Photo FlickR CC : sun dazed

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