Toy Story en Irak

Le 15 novembre 2010

En parcourant les Warlogs irakiens de WikiLeaks, les étudiants de l'Ecole de journalisme de Sciences-Po ont mis au jour un aspect pacificateur et méconnu de l'action des soldats américains: la guerre psychologique, menée auprès des enfants.

Cet article est une contribution des étudiants de l’Ecole de journalisme de Sciences-Po.

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Tu pleures parce que notre opération anti-terroriste t’a fait peur ? Tiens, voilà une poupée. Ah, on a tué ton chien pendant cette même opération? Prends-donc ce kit Lego, ça t’aidera à te reconstruire.

Les jouets débarquent en Irak. Pour mieux se faire accepter par la population locale, les soldats américains distribuent des peluches et des poupées aux enfants irakiens. Une méthode surprenante mais efficace quand elle ne se heurte pas aux traditions religieuses.

Entre charité et opportunisme, gagner les cÅ“urs des petits Irakiens à coups de peluches et de jouets,c’est une des méthodes de l’unité américaine des opérations psychologiques (les PSYOPs).

Et ça marche. Comme cette fois où, pendant que les soldats américains perquisitionnaient les maisons à la recherche d’armes, les PSYOPs distribuaient des jouets à la volée. Au final, beaucoup moins d’animosité et de regards haineux de la part des Irakiens. Sur Wikileaks, un rapport d’une brigade -rendue anonyme par le site- confirme “que donner des jouets reste un moyen efficace d’influencer la population” pendant les perquisitions.

Jouer au Père Noël, c’est aussi bien pratique pour avancer dans les quartiers dangereux. Entourés par une nuée d’enfants, les soldats américains se sont baladés tranquillement dans les rues, direction un bâtiment “qu’on disait abandonné”. A l’intérieur, surprise! ils y découvrent deux “rebelles étrangers”, à l’attirail du parfait-petit-poseur-de-bombes.

En une expédition, les soldats américains ont fait d’un jouet trois coups: non seulement ils ont conquis le cÅ“ur des enfants irakiens – et de leurs parents, charmés par tant de générosité -, mais ils ont en plus réussi à avancer en toute sécurité dans les rues, avant de réaliser un beau coup de filet anti-terroriste.

Des distributions de jouets assurées par des ONG

Les distributions de jouets par les PSYOPs ont fait des émules parmi les autres régiments de l’armée américaine. Après avoir offert une peluche à une petite fille dont “les yeux se sont illuminés d’une telle joie”, le soldat Paul a décidé de lancer sa propre ONG, Operation Give. Des quatre coins des Etats-Unis, on lui envoie des jouets qu’il redistribue ensuite sur le terrain. “Nous voulons aider les soldats américains à gagner les cÅ“urs et les esprits des gens de cette région”, explique Paul.

Certains coeurs et esprits sont cependant loin d’être conquis par ces soldats déguisés en Mère Teresa. Parfois, les gentils Américains tombent sur “des éléments de propagande” qui incitent les enfants irakiens à refuser leurs cadeaux. Il arrive aussi que les distributions de jouets soient interrompues par des voitures qui foncent en leur direction.

Des jouets américains en terre d’Islam

Les jouets seraient-ils aussi une affaire d’adultes? Les Américains font pourtant attention d’éviter d’offrir des Barbies nues afin de ne pas exciter le zèle religieux de certains Irakiens: les formes voluptueuses de la figurine s’accordent mal avec les préceptes de l’islam. Mais les soldats donnent sans hésiter des voitures, des Legos et des poupées; véritables symboles d’infidèles, selon les extrémistes.

Ce que craignent surtout les insurgés, c’est que les jouets fassent partie d’une tactique d’influence des Américains. Un peu comme après la seconde guerre mondiale, lorsque les G.I. offraient à tout-va des chewing-gums et du chocolat aux enfants européens et japonais. Aujourd’hui, les petits Irakiens reçoivent des peluches et des poupées, mais la stratégie serait la même, selon les insurgés. Derrière l’apparente générosité des soldats américains, il n’y aurait pas que la volonté de se faire accepter par la population locale, mais surtout celle de faire goûter aux enfants le si agréable American Way of Life.

L’ONG Operation Give ne s’en cache pas. Si elle a décidé d’apprendre aux Irakiens le baseball et le football,“ces jeux géniaux de tradition américaine”, ce n’est pas uniquement pour le plaisir d’échanger avec eux d’autres balles que celles des fusils – mais pour que les enfants “apprennent bien plus que ces jeux”. Comprenez: on serait ravis qu’ils se familiarisent avec notre belle culture et langue américaine.

Jouer avec des peluches c’est bien, avec des armes c’est mieux

Et les enfants dans tout ça ? Ils sont sûrement heureux de recevoir des cadeaux de la part des soldats américains, même si ces derniers ne quittent jamais leur gilet pare-balles. Cependant, si les petits Irakiens pouvaient choisir, ils préféraient que les Américains leur tendent non pas des peluches mais des… AK-47. En plastique et avec balles de caoutchouc, mais le plus ressemblant possible. Citée par le journal Al-Arabiya, Dr. Nahed Abdul Karim, sociologue de l’Univerisité de Baghdad, explique que les enfants aiment imiter “et de là vient leur envie d’avoir leurs propres armes“. Mortiers, mini-bombes, lanceurs de roquettes… tant que c’est une (fausse) arme de guerre, l’enfant irakien sera heureux, rapporte Al-Arabiya.

Pour les soldats américains, ces “jouets” sont un véritable casse-tête. Dans les rues, les enfants marchent en groupe, leur AK-47 à la main. On les appelle les “faux gangs”. Mais de loin, difficile de les différencier avec les vrais, ce qui a déjà failli coûter la vie à plus d’un enfant. La faute à une guerre si présente au quotidien qu’elle en est devenue le jeu privilégié des petits irakiens.

Cet article a originellement été publié sur le site de l’Ecole de journalisme de Sciences-Po

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Crédits photo: Flickr CC The U.S. Army

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