Pourquoi le Huffington Post gagne de l’argent

Le 20 juillet 2010

Alors que la crise des médias continue de faire des victimes, de nouvelles entités émergent sur Internet qui parviennent à gagner de l'argent. Le site fondé par Ariana Huffington en 2005 en est l'illustration.

Avec ce premier article, j’inaugure une série d’interviews sur la monétisation digitale. Chaque semaine, j’interviewerai un média ou un acteur du web qui gagne de l’argent sur Internet. Une façon de prouver qu’il n’y a pas de fatalité en ce domaine et que lorsque l’on fait l’effort d’innover, on obtient des résultats. Cette série est participative : si vous avez en tête des noms de personnalités que je pourrais aller interviewer, envoyez moi leurs coordonnées par email.


L’immeuble du Huffington Post situé au cœur de Soho à New York, ne ressemble pas au majestueux gratte-ciel du New York Times planté dans l’électrique quartier de Time Square. Il faut entrer dans l’immeuble pour trouver, sur une vieille plaque, parmi les noms inconnus d’autres sociétés, le logo vert et noir du média qui est en train de devenir le premier site d’informations américain.

Le Huffington Post est une “petite rédaction”, comparée au millier de journalistes du New York Times : soixante-cinq professionnels, dont onze reporters, et douze en charge des six mille blogueurs actifs du site. Un chiffre qui n’a cessé de progresser depuis le lancement du “blog” de cinq chroniqueurs en mai 2005 autour de la très mondaine Ariana Huffington.

Les bureaux du 560 Broadway sont répartis sur trois étages maintenant. Le premier local, qui abrite les commerciaux, est indiqué très sommairement avec des lettres collées sur la vitre qui se décollent. Ambiance garage de l’époque pionnière. Le second est une grande pièce un peu sombre où travaillent ensemble une cinquantaine de journalistes (les onze autres sont à Washington) et le team des développeurs. Au mur, des écrans montrent les statistiques du site en direct et les principales chaines d’info en continu.

Il faut atteindre le troisième niveau pour se rendre compte que le blog très “left wing” d’opinions et d’informations est devenu un grand média. Murs en verre, salle de réunion, des écrans plasma encore sous emballage. Et le bureau, pas très grand, donnant sur Broadway, d’Eric Hippeau, le nouveau CEO du Huffington Post.

Utilisation très fine de Facebook Connect

Eric Hippeau, nouveau CEO du HuffPo.

Éric Hippeau est très grand. Il parle un français parfait. Il y a passé une partie de son enfance et y a même eu une expérience professionnelle qui l’a définitivement convaincu que “si vous voulez faire des affaires, n’allez pas en France !”. Éric a été le patron du groupe de presse magazine Ziff-Davis qui a notamment lancé PC Magazine.

Il a rejoint le Huffington Post en juin 2009. C’est sous sa coupe que le site est passé de 6,5 millions de VU à… 23 millions de VU Comscore. Pas seulement le résultat de son action d’ailleurs, explique-t-il, mais celui d’un effet levier qui, après l’élection présidentielle de 2008, a propulsé le site de blogs et d’agrégation dans le top 3 des médias américains. “Au moment où la vague de 2008 est passée, suivie par de nombreux troubles dans le monde qui ont achevé de booster le trafic des médias, tout était en place chez nous pour en profiter au maximum.”

Le succès du Huffington Post n’est pas un hasard. Il est le résultat d’un travail en profondeur de la technologie (qui représente pas loin de 20% du budget) et de la marque. Mais aussi de la communauté, à travers une utilisation très fine de Facebook Connect notamment. “Quand les médias sociaux, Twitter et Facebook, ont explosé, nous étions bien placés pour comprendre ça et en bénéficier. Nous avons compris que nous devions être un média social nous mêmes. Ma page personnelle peut être ma homepage. J’y retrouve mon Facebook, mon Twitter, bientôt LinkedIn. Et je n’ai pas besoin de la configurer, tout se fait via l’outil Social News”.

Facebook est d’ailleurs devenu la principale source de trafic “referal” du HP (après les moteurs de recherche et l’accès direct).

Les chiffres que j’ai pu récupérer sur le Huffington Post depuis la première levée de fonds de 2 millions d’euros en 2005 montrent clairement l’effet levier dont a bénéficié le média après novembre 2008 (où tout le monde pensait qu’ils allaient s’effondrer !).

Source : La Social NewsRoom

Chiffre d’affaires doublé en 2009

Mais le plus impressionnant avec le Huffington Post, c’est moins l’explosion du trafic, qui a bien peu de valeur sans monétisation, que l’évolution exponentielle des revenus entre 2008 et 2010.

En 2009, le Huffington Post a doublé son chiffre d’affaires, avec 15 millions de dollars. “Nous aurions pu être profitables à cette date mais nous avons choisi d’investir.” Bonne initiative. Les projections de revenus pour 2010 sont de 30 millions de dollars, ce qui permettra d’atteindre la profitabilité à la fin de l’année. Ils devraient encore doubler en 2011 pour atteindre 100 millions de dollars en 2012, soit l’équivalent du chiffre d’affaires digital du NYTimes !

Le modèle économique du Huffington Post ? La gratuité et la publicité. Mais une publicité bâtie autour de la mise en scène de l’information. Chaque sujet de conversation devient un média à part entière et organise les contenus autour des communautés qui s’y intéressent. C’est ce qu’ils appellent les Big News Pages. Par exemple le “Gulf Oil Spill“, ou “Lance Amstrong“.

Le Huffington Post a également développé plus de vingt verticaux, des pages thématiques sur de nombreux sujets allant du plus sérieux (“politique” ou “business”, 20% du trafic) au plus léger (“comedy” et “entertainment” et “sports” qui drainent une grande partie de l’audience sur le site). Chaque section est gérée par un journaliste et animée par les conversations de la communauté.

La règle est simple : plus on qualifie l’audience, plus on fait monter les tarifs.

Dynamisme commercial de l’équipe

Mais le succès économique du Huffington Post repose autant sur son architecture que sur le dynamisme commercial de l’équipe. Sur le pied de guerre : vingt-cinq commerciaux. Tous issus de la pub digitale, aucun du print (vingt supplémentaires seront embauchés d’ici la fin de l’année). Depuis deux ans (il n’y avait pas d’équipe interne avant), ils s’appuient sur la technologie pour innover en permanence.

“Au delà de la publicité, nous avons développé le social marketing”, précise Eric Hippeau. Le CPM (coût d’une pub pour 1000 affichages) est entre 8 et 10 dollars (à peu près équivalent aux tarifs, assez bas, du Monde.fr). Pour augmenter la valeur de la publicité, l’équipe commerciale lie les campagnes aux mots clefs, et s’appuie notamment sur les réseaux sociaux. “Par exemple, lorsqu’un lecteur re-tweette (envoie sur Twitter) un contenu tagué “cancer” on ajoute un #tag (mot-clef Twitter) publicitaire lié à la campagne (#healthyimagination)”. De la même manière, quand il partage l’article sur sa page Facebook, cette fois la pub (pour un institut de ligue contre le cancer) remplace la vignette photo sur son wall. Malin.

L’autre secret du succès économique du Huffington Post, c’est que “nous développons tout nous-mêmes. Et nous traquons les publicités qui s’affichent, pour démontrer le ROI”. Le ROI (retour sur investissement), clef de la publicité en ligne aujourd’hui face au “display” déclinant.

Vingt-cinq développeurs

Aux commandes techniques, vingt-cinq développeurs, dont la moitié en Ukraine.

Pourquoi un tel chiffre ?

Nous devons innover en permanence, ne jamais nous arrêter. Nous sortons tous les mois de nouvelles fonctionnalités.”

Pour s’adapter aux usages. Mais aussi à la concurrence.

Nous sommes tout le temps copiés. Notre atout c’est d’avoir toujours une longueur d’avance.

Et l’équipe marketing ? “Nous n’en avons pas. Le marketing, ce sont les contenus. Ils doivent être viraux.”

Pour aider les soixante-cinq journalistes du Huffington Post, de nombreuses données sont à leur disposition. “Nous traquons tout sur le site. Les journalistes prennent la décision finale, mais ils sont informés en permanence.”

Parmi cette équipe, qui a presque doublé chaque année, douze reporters d’investigation, qui suivent la politique à New York. Un signe, alors que le NY Times licencie ses reporters et recrute des blogueurs non payés pour couvrir l’actu politique.

Signe que deux mondes se croisent. L’un monte, l’autre stagne… ou descend.

Billet initialement publié sur La social NewsRoom ; image CC Flickr Photos8.com

Disclosure : 22mars, société éditrice d’OWNI, a conçu La social NewsRoom et l’héberge.

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