Just hack it

Le 17 mai 2010

La loi, c'est du code, donc elle se hacke, à tous les étages. Jérémie Zimmermann (La Quadrature du Net) et Benjamin Ooghe-Tabanou (Regards citoyens), ont donné leur méthode samedi dernier lors de Pas sages en Seine 2010.

Photo CC Flickr Steven and Sarah

“Si la code c’est la loi, selon Lawrence Lessig, l’inverse est aussi vrai : la loi c’est aussi du code.”

Donc on peut la hacker, quand son code vous semble sale, au sens premier du terme, la “bidouiller” en toute légalité. C’est tout naturellement au vocabulaire de l’informatique que Jérémie Zimmermann et Benjamin Ooghe-Tabanou empruntent pour expliquer leur démarche, samedi dernier à La Cantine, lors d’une conférence organisée à l’occasion de Pas sage en Seine 2010.

Car en matière de crasse législative, rayon Internet, ils sont experts du chiffon. Le premier est porte-parole de La Quadrature du Net, qui se bat pour nos libertés numériques, et Benjamin est co-fondateur de Regards citoyens, un collectif qui cherche à fournir aux citoyens un accès simplifié au fonctionnement des institutions démocratiques grâce à Internet. Comme une partie de ses fondateurs, il a été membre du collectif StopDRM, dont l’hacktivisme sera évoqué un peu plus loin.

Pour comprendre leur démarche, il faut entendre “loi” au sens large du terme :

“tout ce qu’il y a autour, la société, les juges qui l’interprètent, le gouvernement et l’opinion publique qui pousse à l’élaborer, le processus social, plus difficile à saisir, mais qui peut aussi se bidouiller à l’aide des techniques et de l’intelligence collective”, précise Jérémie.

Concrètement, et pour filer la métaphore, prenez une loi qui vous semble crade, par exemple, mais vraiment par exemple, le paquet Télécom. Cet ensemble de directives européennes régulant le secteur des télécommunications comprenait des bribes d’Hadopi, en particulier la riposte graduée. La Quadrature a tenté de lui appliquer un patch sous la forme de l’amendement 138, qui voulait imposer un jugement préalable avant toute suspension de l’accès à Internet.

Familier du Parlement européen, Jérémie Zimmermann en a profité pour évoquer l’obscurité parfois de ses procédures, parlant de “la maladie de l’amendement de ‘compromis”, négocié dans l’opacité, sur lesquels on ne peut pas revenir une fois votés.

Autre option, “le débug final”, qui vise à intervenir après le vote d’une loi pour en montrer les failles. Et de citer l’initiative de StopDRM, collectif dénonçant les Digital Rights Management, ces verrous numériques empêchant la copie privée et dont le contournement devait être réprimé par la loi DADVSI (Droit d’Auteur et Droits Voisins dans la Société de l’Information).

On ne s’étonnera pas d’apprendre que Benjamin en faisait partie… Pour démontrer l’illégitimité de cette sanction, qui contrevenait à l’obligation d’interopérabilité des contenus, des membres s’étaient rendus volontairement à la justice. Une opération couronnée de succès puisque le Conseil d’État a annulé le décret litigieux.

Plus lisible pour le grand public, c’est son cÅ“ur de cible, l’action de Regards citoyens s’inscrit dans cette même logique, appliquée au fonctionnement même de notre démocratie, en incitant à plus de transparence et d’accountability de la part des institutions et des élus, ce qu’on pourrait traduire par “responsabilité”.

Évoquer leur action, c’est inévitablement inévitablement aborder la question du e-gouvernement et de l’open-data. Car si “les données permettent de faire beaucoup de choses”, encore faut-il qu’elles soient accessibles dans un format exploitable. Et la France est à la traîne en ce domaine. “En Grande-Bretagne, le vote des députés est disponibles, a ainsi expliqué Benjamin, alors qu’en France les votes ne sont pas publics de façon générale.”

Faute de données claires sur le site de l’Assemblée nationale, Regards citoyens a donc mis en place dans un premier temps Députés godillots, pour pointer du doigt les dormeurs du banc, qui s’expriment sur les lois et les votent sans avoir suivi les débats. NosDéputés.fr est venu ensuite, mesure plus large et systématique de l’(in)activité du Parlement.

Limite à la métaphore, comme l’a rappelé Jérémie Zimmermann, si la loi était vraiment du code, les erreurs seraient automatiquement signalées.

Si l’ouverture des données facilite la surveillance, il faut dire et redire que la vigilance des citoyens reste essentielle. Et dans ce sens, il est essentiel d’avoir à l’esprit ce point : La Quadrature, Regards citoyens, pour parodier la fameuse collection, c’est “le hacktivisme citoyen pour les nuls”.

Leur quotidien est un patient travail d’endurance -nouer des relations de confiance avec attachés parlementaires, maitriser à fond le dossier, passer des heures sur les bancs de l’AN…-, pour permettre à tout un chacun de hacker, à son niveau. Le mot “boîte à outils” est revenu souvent dans la bouche des intervenants, et c’est pas qu’un mot en l’air. Les écouter, c’est prendre un coup de pied aux fesses, sur le mode, “tu n’as aucune excuse pour ne pas te bouger”.

Just hack it. Now.

La conférence est visionnable en intégralité sur le site de La Cantine

La Quadrature du Net et Regards citoyens ont besoin de votre soutien.

OWNI a réalisé avec l’aide de Regards citoyens l’application Où je vote ? lors des dernières régionales.

Sur le même sujet, lire l’article de Serge Soudoplatoff, “Pour un gouvernement 2.0″

Laisser un commentaire

Derniers articles publiés