Internet et les jeunes: désolé, ça se passe plutôt bien
Retour sur une étude réalisée par Fréquence écoles, récemment publiée. Elle souligne l'inadéquation entre la prévention et la réalité des risques.
Bonne nouvelle pour vos enfants : Internet est moins dangereux que la vie puisque seulement 82,5% des jeunes y ont fait une expérience “malheureuse”, contre 100% dans la vie réelle, de la souffrance à la naissance lorsque l’air pénètre les poumons en passant par les griffes aux genoux et autres garçons expurgeant leur trop-plein d’hormones d’une main aux fesses. C’est la conclusion d’une étude récente menée par Fréquence écoles, association d’éducation des jeunes aux médias, intitulée “Comprendre le comportement des enfants et adolescents sur Internet pour les protéger des dangers.”
Plus sérieusement -quoique…-, l’enquête en question, offre une vision dédramatisante sur le sujet, soulignant l’inadéquation entre la prévention et la réalité des risques.
Il faut dire que les auteurs, Barbara Fontar et Elodie Kredens, sont parties sans a priori quant à la définition du terme danger et sur la hiérarchie, une méthodologie appréciable en ces temps de lutte anti-Hadopi et de reportages racoleurs.
“Il est difficile d’appréhender [la notion de danger] sans être tenté de lui appliquer des principes normatifs. Si le danger est une situation dans laquelle un individu est menacé sur le plan physique, psychologique ou social, sa définition, sa perception et son expérimentation restent pour partie subjectives.”
“Afin de minimiser les biais et pour ne pas influencer les jeunes dans leurs réponses nous avons pris soin de ne jamais suggérer les dangers potentiels d’Internet. En entretien, nous avons fait en sorte que les jeunes initient eux mêmes la thématique des risques ou bien nous avons l’avons abordée sans pour autant orienter leurs visions des dangers. Cette précaution s’est traduite dans la phase qualitative par le choix d’une question ouverte.”
Au terme de leur enquête, il ressort que les jeunes n’ont globalement pas un comportement à risques sur le web. Loin de l’image de l’ado naïf errant sans but, facile proie du premier cyber-pervers venu, ils ont ainsi un usage extrêmement bordé du Net :
Chez les jeunes, les « aventuriers de la toile » sont plutôt rares comparés aux « voyageurs organisés ». Une majorité a d’ailleurs balisé ses sentiers en utilisant des moteurs de recherche, en allant toujours sur les mêmes sites et en créant des « favoris ». Certains ont même des rituels de navigation et surfent selon un ordre déterminé.
En outre, Internet est avant tout pour eux un outil de loisir et de socialisation avec leurs pairs. 9 sur 10 regardent des vidéos (films, clips) et écoutent de la musique, 8 sur 10 s’en servent pour jouer. Sur le podium de leur sites favoris, on retrouve Facebook, Youtube et MSN. Enfin, 3 sur 4 utilisent Internet pour discuter et rester en lien avec leur cercle de connaissances :
La grande majorité des jeunes n’utilise pas Internet pour élargir son réseau relationnel. On constate que la plupart des inconnus rencontrés sur le Net le restent. Si 1/3 du panel a déjà noué des relations amicales avec des gens sur Internet, lorsque les jeunes entament des relations, elles sont éphémères et peu approfondies. Si quelques cas d’amitiés nous sont rapportés lors des entretiens, ils débouchent très exceptionnellement sur des appels téléphoniques ou sur une rencontre. Ce sont donc plus de deux jeunes sur trois qui s’abstiennent de nouer des contacts avec des personnes inconnues.
En clair, ils chattent chez eux avec leurs potes de la cour ou ils écoutent de la musique (voire les deux en même temps, petits malins).
Si inconnu il y a, il faut le relativiser :
Derrière chaque inconnu sur Internet ne se cache pas un/une pervers(e). L’inconnu est aussi celui qui répond à des questions sur un forum, qui laisse des commentaires sur un blog, qui devient un partenaire de jeu le temps d’une partie et qui s’en retourne sans que des liens se soient créés pour autant.
Ils font également montre de prudence :
S’ils ont été contactés par des gens qu’ils ne connaissent pas, la majorité des jeunes, quel que soit leur âge, n’accepte pas de discuter avec eux. Ils refusent ainsi d’ajouter des contacts inconnus sur MSN ou Facebook, ils déclinent des invitations sur les jeux en ligne pour devenir partenaire temporaire ou membre d’une guilde et n’ouvrent pas les mails d’incon- nus. Rappelons qu’un tiers des jeunes a noué des relations amicales avec des gens sur Internet. En outre, c’est moins d’un jeune sur trois qui discute en ligne avec des inconnus.
De même, les forums ne les intéressent pas puisque seulement 8% y naviguent souvent et plus de la moitié (54,8%) n’y met jamais la souris.
Sur le décalage entre les représentations des jeunes comme des parents et le réel expérimenté, les chiffres sont éloquents. Le danger n’est pas du tout là où ils pensent :
Ainsi, alors que 44,9% d’entre eux considèrent la mauvaise rencontre comme le danger n°1, ce sont 7,7% d’entre eux qui se sont vus fixer un rendez-vous par un inconnu. Une question se pose sur la sensibilisation aux risques : sans remettre en cause le potentiel de gravité de tels faits, l’abondance des informations sur les mauvaises rencontres ne conduit- elle pas à rendre moins visibles d’autres expériences fâcheuses plus fréquemment rencontrées par les jeunes ?
La pédopornographie, cet épouvantail si commode, affiche un misérable 1,4%, un chiffre logique. Et en tête, on retrouve… le virus et/ou piratage, avec 36, 4%, talonnée par la pornographie (un chiffre à relativiser toutefois car les jeunes seraient moins enclins à confier avoir vu du porn.)
Certes, il est déplaisant de voir un méchant virus flinguer votre ordi, voir surgir une image de fellation peut aisément choquer, mais c’est bien moins traumatisant et dangereux que de se retrouver avec un vilain monsieur de vingt ans votre aîné dans une chambre glauque d’hôtel. En revanche, c’est moins vendeur médiatiquement.
Si les reportages racoleurs ont peut-être eu un effet positif, notent les auteurs, c’est d’inciter à plus de prudence. À défaut d’honorer la profession de journaliste par leur déontologie.
Si la plupart des jeunes ont fourni des données personnelles, c’est parce qu’il est difficile dans l’état actuel du web de faire autrement, contextualisent les auteurs. Et encore, certains font preuve de prudence, parmi les plus âgés, en en donnant de fausses. Guillaume (16 ans) explique ainsi : « et puis quand t’as un formulaire à remplir sur Internet je mets jamais mon nom. Je mets ” Durand”, “Dupond”. L’adresse, je mets une connerie. » Au demeurant, ce type d’attitude n’a rien d’étonnant.
Donc Dieu merci, la situation n’est pas catastrophique, loin de là . Loin de nous l’idée de nier l’existence de risques, simplement, ils appellent prévention sans diabolisation. La demande est bien réelle, de la part des jeunes mais aussi bien sûr des parents qui ont une image réductrice du grand méchant Net, “prenant les symptômes pour des causes”. Plus de quatre jeunes sur cinq pensent que la prévention est importante. Leurs inquiétudes vont à la mauvaise rencontre (44,9%), puis aux virus, spams… (33,6%) et enfin aux contenus violents ou choquants (14,8%)
En conclusion, les auteurs de l’étude appellent à reformuler la prévention aux dangers de l’Internet en partant de ce portrait plus réaliste du comportement de nos enfants. Malheureusement, l’étude laisse sur sa faim concernant la suite à donner, égrenant juste quelques pistes à la fin. On va essayer d’y remédier ;-)
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Photo CC Flickr aldoaldoz
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