OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Julien Coupat : “Tarnac est la norme, pas l’exception” http://owni.fr/2012/11/13/julien-coupat-tarnac-est-la-norme-pas-l-exception/ http://owni.fr/2012/11/13/julien-coupat-tarnac-est-la-norme-pas-l-exception/#comments Tue, 13 Nov 2012 13:58:13 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=125850

Julien Coupat graffé par Abode of Chaos/La Demeure du chaos (ccby)

Pièce par pièce, cote par cote, les mis en examen de Tarnac veulent déconstruire la “fiction policière et politique”. Ils s’y sont employés à nouveau lundi matin, en organisant un rendez-vous avec plusieurs médias.

L’enquête ouverte en 2008 avait conduit à l’arrestation et la mise en examen de dix militants présentés comme “d’ultra-gauche”. Celui qui était alors décrit comme “le chef de la cellule invisible”, Julien Coupat, était présent, rompant un silence médiatique de plusieurs années.

“L’affaire judiciaire et juridique est terminée, il ne reste rien du dossier d’instruction” affirme Mathieu Burnel, inculpé dans l’affaire. Reste “la figure monstrueuse puis star ridicule de Julien Coupat” en tant que chef, que les mis en examen – Julien Coupat compris – veulent “dissoudre”, ce qui a motivé la conférence de presse lundi.

“Défoncer le dossier”

Ils avaient d’abord refusé de se revendiquer innocents “par refus de la dichotomie coupable-innocent” justifie Mathieu Burnel. Ils ont fini par mener le combat sur le terrain judiciaire, jusqu’à “défoncer le dossier”. Julien Coupat :

Dans cette affaire, nous avons les capacités à analyser les dossiers, nous avons les capacités à nous défendre, ce qui n’est parfois pas le cas.

Tarnac Production

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Tarnac dossier judiciaire scandaleux, dérive éloquente de l'antiterrorisme à la française. Certes. Mais aussi et surtout ...

Une allusion aux profils des mis en examen. La majorité d’entre eux a fait des études supérieures. “Il s’agit de jeunes gens intelligents, blancs, issus de la classe moyenne, certains ont fait des études brillantes. Ils maitrisent la prise de parole publique. Une identification est possible pour les journalistes et le public” analysait l’un de leurs avocats, Me Assous, lors d’une précédente conférence de presse. Mathieu Burnel et Benjamin Rosoux avaient apporté leur soutien à Adlène Hicheur, physicien du Cern condamné pour de nébuleux projets terroristes.

Les mis en examen ont aussi pu étudié le dossier – qu’ils connaissent aujourd’hui sur le bout des doigts. Julien Coupat est resté six mois en détention provisoire entre son arrestation, le 11 novembre 2008, et le 29 mai 2009. Il a ensuite pu savoir ce qui lui était précisément reproché et préparer sa défense. Sans oublier le fond et l’antiterrorisme :

La prison ne fait pas qu’enfermer les gens, la prison brise les liens. L’antiterrorisme est éminemment destructeur sur les gens. Ce sont des dommages sensibles, non-chiffrables.

La perspective d’un procès paraît maintenant improbable aux mis en examen, tant le dossier est en pièce. Les nombreuses faiblesses ne permettent plus de soutenir les allégations initiales, affirment-ils. Des trous qui ne sont pas propres à cette affaire explique Julien Coupat :

L’affaire de Tarnac est la norme dans les affaires terroristes, et non l’exception.

Pré-terrorisme

Il déroule ensuite sa compréhension de cette “construction politique”. Julien Coupat évoque le pré-terrorisme, la volonté des autorités de prévenir tout acte délictueux avant qu’il ne soit commis. La nouvelle doctrine européenne de lutte contre les militants anarchistes ou associés a été impulsée par la Grande-Bretagne. Elle a fait la démonstration de l’efficacité de ses moyens, détaille-t-il : “La police française a été bluffée par la police britannique”.

Hicheur : “j’étais le pigeon providentiel”

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Physicien de haut niveau, Adlène Hicheur a été condamné le 5 mai dernier à cinq ans de prison pour terrorisme, au terme ...

Les services de sécurité britannique apparaissent, à couvert, dans le dossier contre Tarnac. Un espion anglais, Mark Kennedy, connu alors sous le nom de Mark Stone, serait la source principale ayant permis l’ouverture de l’enquête préliminaire en avril 2008. Les premiers renseignements sur “le groupe de Tarnac” mettent l’accent sur les déplacements internationaux du groupe et ses supposées ramifications.

Les mis en examen veulent aujourd’hui comprendre quel rôle précis a pu jouer ce fameux espion anglais. Une conférence de presse est organisée mercredi à l’Assemblée nationale. Pour Julien Coupat, l’espion anglais est une illustration de cette lutte contre le pré-terrorisme, inspirée par l’Intelligence-led-policy : “Un agent provocateur est envoyé pour déceler les futurs terroristes.”

Ni Julien Coupat, ni Mathieu Burnel, ne pensent que cette doctrine pourrait être abandonnée avec le nouveau gouvernement. “Lors du sommet d’Interpol, Manuel Valls a appelé à une meilleure coopération policière en Europe pour lutter contre les processus de radicalisation, notamment de l’ultra-gauche. Il a aussi appelé à de plus grands échanges entre États-membres” détaille Julien Coupat. Il conclut :

Politiquement, la construction est réactivée.


Julien Coupat graffé par La Demeure du chaos /Abode of Chaos [CC-by]

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Le cyberterrorisme par la petite porte au Sénat http://owni.fr/2012/10/17/le-cyberterrorisme-par-la-petite-porte-au-senat/ http://owni.fr/2012/10/17/le-cyberterrorisme-par-la-petite-porte-au-senat/#comments Wed, 17 Oct 2012 17:50:13 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=122893 "La réflexion n'était pas mûre" admet l'ancien garde des Sceaux. D'autant que le cyberterrorisme est au cœur de plusieurs dispositions du projet de loi adopté hier par le Sénat.]]>

L’entente cordiale des grands jours flottait hier au Sénat pour l’examen du projet de loi antiterroriste. Dans la nuit, les sénateurs ont voté pour ce texte, dont une première version avait été présentée par le précédent gouvernement, entre l’affaire Merah et l’élection présidentielle.

La loi contre les web terroristes

La loi contre les web terroristes

Le projet de loi sanctionnant la simple lecture de sites Internet appelant au terrorisme devrait être présenté demain en ...

Manuel Valls, rejoint dans l’hémicycle par la garde des Sceaux Christiane Taubira, a insisté sur le consensus républicain nécessaire afin de lutter contre le terrorisme, “l’ennemi intérieur”. Différence majeure avec le texte présenté par le précédent ministre de la Justice, Michel Mercier : le délit de consultation habituelle des sites terroristes sans motif légitime a disparu. Du moins jusqu’à l’examen en commission des lois.

Délit de consultation

Le sénateur UMP Jean-Jacques Hyest a proposé des amendements qui réintroduisaient intégralement le délit de cyberterrorisme. Il expliquait jeudi à Owni que cette disposition existait déjà pour les pédophiles et pourrait donc être reprise pour les sites terroristes. En séance, Jean-Jacques Hyest a invoqué l’expertise de François Heisbourg, conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique interrogé par la commission des lois au printemps dernier.

Le son de cloche diffère légèrement chez Michel Mercier, l’ancien garde des Sceaux. En commission, il a émis des doutes quant à la pertinence de cette disposition :

Peut-être faudra-t-il revenir à la création d’un délit de consultation de certains sites sur internet ; je reconnais toutefois que la réflexion n’était pas mûre.

Ces amendements n’ont pas été retenus hier, mais le spectre du cyberterrorisme était bien présent. A la tribune, Manuel Valls a évoqué à plusieurs reprises la menace qu’Internet représente entre les mains des jihadistes. Le ministre de l’Intérieur a notamment cité l’exemple de Mohammed Merah dont “les méthodes d’action sont le résultat d’une préparation minutieuse, faite de contacts nombreux, de la fréquentation de sites internet djihadistes, d’un embrigadement et d’un passage, sans doute rapide, par les camps d’entraînement situés dans les zones tribales pakistanaises et afghanes.”

Arrestation

Pour étayer ses propos, Manuel Valls s’est félicité d’une opération récente :

L’analyse des données de connexion a ainsi permis, au cours des derniers mois, d’identifier les administrateurs d’un site islamiste dont l’objectif était notamment le recrutement de candidats au djihad. Sur la base des informations recueillies, une procédure judiciaire a pu être ouverte, et le principal administrateur du site a été arrêté et écroué.

26 ans de lois antiterroristes

26 ans de lois antiterroristes

Description en une infographie interactive de la mécanique antiterroriste française, mise en place en 1986 au lendemain ...

Une façon de justifier la pertinence de la législation actuelle et, en creux, l’abandon du délit de consultation des sites terroristes. Pour l’heure, l’utilisation d’Internet à des fins terroristes tombait sous le coup de l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, ou de l’apologie du terrorisme, un délit encadré par le droit de la presse.

Le projet loi tel qu’il a été voté par le Sénat et sera présenté à l’Assemblée, propose de faciliter les inculpations pour apologie du terrorisme. Le délai de prescription, de trois mois aujourd’hui, serait porté à un an. Une mesure directement destinée aux enquêteurs qui se confrontaient régulièrement à la courte durée.

Mais pour “lutter contre le cyberterrorisme”, il faut “identifier les personnes en parvenant à les géolocaliser”, a expliqué le sénateur PS Alain Anziani :

Nous savons que le cyberterrorisme est la forme moderne du terrorisme.

Le projet de loi étend justement les dispositifs de 2006 sur la conservation des données de connexion.


Photo par Richard Ying (CC-byncsa)

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La France débranche le cyberjihad http://owni.fr/2012/10/16/la-france-debranche-le-cyberjihad/ http://owni.fr/2012/10/16/la-france-debranche-le-cyberjihad/#comments Tue, 16 Oct 2012 13:07:08 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=122786 Owni, ces derniers jours l'administration française a pris des mesures contre le forum d'Ansar al Haqq, un site jihadiste francophone. Les avoirs et les comptes en banque de son responsable présumé viennent d'être gelés, par simple arrêté ministériel. ]]>

Je ne suis au courant de rien.

Philippe est surpris au téléphone. Il ne savait pas que ses avoirs financiers étaient gelés en raison de ses ”activités qui promeuvent le terrorisme” selon l’arrêté paru récemment au Journal Officiel. Philippe explique d’abord à Owni qu’il est “converti à l’Islam”. Plus tard dans la conversation, il évoque “un site d’information musulman sur le net”. Ce site, c’est Ansar al Haqq et son forum est connu pour relayer des communiqués d’organes de propagande d’Al-Qaida. Philippe est l’un de ses administrateurs.

Fauchés par l’antiterrorisme

Fauchés par l’antiterrorisme

Le ministère de l'Économie peut décider le gel des avoirs financiers d'individus soupçonnés de financer des activités ...

La décision de geler les avoirs financiers, donc l’argent déposé en banque, est prise par Bercy. Plus précisément par la direction générale du Trésor, sur la base d’éléments qui “émanent du ministère de l’Intérieur”, nous avait répondu Bercy en août. Une mesure administrative donc, qui ne nécessite pas l’accord d’un juge.

Moudjahidin

Le ministère de l’Intérieur et les services spécialisés connaissent bien le forum d’Ansar Al Haqq : à partir de 2008, il fait l’objet d’une attention toute particulière du service spécialisé de la police nationale, la sous-direction anti-terroriste (Sdat). Dans deux notes de la Sdat datées de 2008 qu’Owni a consultées, les policiers écrivent :

Ansar Al Haqq affiche clairement son soutien aux moudjahidin, appelle la communauté musulmane à soutenir le combat contre les mécréants. (…) Le site salafiste djihadiste [est] susceptible de développer par le biais d’Internet des activités en lien avec l’endoctrinement et la propagande en faveur du djihad.

Le bug du cyberjihad

Le bug du cyberjihad

Nicolas Sarkozy est parti en croisade contre les sites Internet terroristes. Mais une instruction ouverte dès 2010 ciblait ...

Dans une autre note datée de 2010, la Sdat évoque un “réel soutien aux organisations terroristes prônant le jihad global (…), la volonté des administrateurs et des modérateurs du site de mettre à disposition de terroristes en activité un outil de communication.” Ansar Al Haqq est décrit par le service antiterroriste comme “une application littérale du jihad électronique”.

Six personnes, modérateurs et administrateurs, avaient été mises en examen au printemps 2010 pour leur participation au forum. L’affaire est toujours à l’instruction, mais plusieurs ont bénéficié d’un non-lieu.

Pirater

Aujourd’hui, le forum d’Ansar Al Haqq n’est plus en ligne. Philippe, l’administrateur, nous a expliqué “ne pas l’avoir fermé [mais] s’être fait pirater” :

On sait que si l’État ne veut pas s’embarrasser de paperasserie, il peut agir quand même.

26 ans de lois antiterroristes

26 ans de lois antiterroristes

Description en une infographie interactive de la mécanique antiterroriste française, mise en place en 1986 au lendemain ...

Nathalie Szerman, auteure d’un rapport sur le site pour le Memri, un centre de recherche américano-israélien, a longuement étudié le forum. Elle explique reconnaître certains utilisateurs qui, entre autres, “font moins de fautes d’orthographe”, preuve de l’étroite surveillance exercée par les autorités selon elle.

Sur le forum, Le Nouvel Observateur a retrouvé des traces de Jérémie Louis-Sidney, tué chez lui à Strasbourg lors d’une opération de police le 6 octobre. Il était un membre assez peu actif, 26 messages ont été recensés. L’intervention de Strasbourg appartient à un large mouvement d’arrestations. Douze personnes ont été interpellées un peu partout en France – à Cannes et en région parisienne. Sept ont depuis été mises en examen.

La séquence s’est poursuivie par la présentation en conseil des ministres d’un projet de loi antiterroriste, porté par le ministre de l’Intérieur Manuel Valls. Il n’a pas repris les dispositions prévues par le précédent gouvernement pour sanctionner la consultation de sites terroristes, préférant les sanctions administratives contre les responsables de forums.

Depuis ce mardi pourtant, le Parlement examine la possibilité légiférer sur le sujet. Des amendements de l’opposition, soutenus en particulier par l’ancien ministre de la Justice et sénateur UMP Michel Mercier, tentent d’introduire en droit français des dispositifs pour sanctionner des sites web au nom de la lutte antiterroriste.


Ilustration par Owni /-)

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26 ans de lois antiterroristes http://owni.fr/2012/10/07/infographie-la-tour-antiterroriste/ http://owni.fr/2012/10/07/infographie-la-tour-antiterroriste/#comments Sun, 07 Oct 2012 09:36:08 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=121824

L’antiterrorisme français est un édifice. Un édifice légal, auquel le nouveau gouvernement socialiste veut apporter une nouvelle pierre. Les lois antiterroristes en vigueur sont récentes à l’échelle du code pénal. Certes, il y eut les lois scélérates à la fin du XIXe siècle qui créaient un système d’exception. Mais la machine antiterroriste actuelle repose aujourd’hui sur des lois de 1986, 1992, 1996, 2001 ou 2006 pour ne citer que les principales (voir notre infographie interactive).

Le projet de loi

Présenté mercredi en Conseil des ministres, le projet de loi prévoit de faciliter les sanctions de Français commettant des actes terroristes à l’étranger. Cette infraction existe déjà, notamment par le truchement de l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Le texte n’apporte donc pas de grandes nouveautés sur ce point. D’autres dispositions sont également prévues : la conservation de données de connexion, l’accès aux fichiers de police administrative et le recours à des contrôles d’identité. Enfin, il prévoit de faciliter l’expulsion de personnes étrangères suspectées d’activités terroristes. Lire notre article : Terreur dans le miroir.

Le système mis en place se caractérise par sa “vocation préventive” selon les mots du juge d’instruction Marc Trévidic, dans son ouvrage Au coeur de l’antiterrorisme. La vocation préventive doit résoudre une équation a priori insoluble : comment empêcher les attentats, c’est-à-dire punir avant qu’une infraction soit commise ? Marc Trévidic est bien placé pour poser la question (et y répondre) : ce magistrat appartient au pôle antiterroriste du Tribunal de grande instance de Paris – la galerie Saint-Eloi – compétent sur l’ensemble du territoire.

Centralisation

Ce principe de centralisation est posé par la première grande loi antiterroriste contemporaine, celle du 9 septembre 1986. Les affaires terroristes échappent aux juridictions ordinaires. Les enquêtes sont confiées à des magistrats instructeurs ou des procureurs spécialisés, à Paris. Les cours d’assises, pour les crimes terroristes, sont composées exclusivement de magistrats, et non de jurés, en vertu d’une loi de décembre 1986.

Ces bases du système français ne permettent toujours pas de résoudre la fameuse équation de Marc Trévidic. La solution apparaît à partir de 1992. L’expression “association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste” fait son entrée dans le code pénal. Elle devient un délit passible de 10 ans de prison en 1996.

L’association de malfaiteurs concentre les critiques, incarnant l’extrême souplesse du régime antiterroriste français. Dans son ouvrage, Marc Trévidic écrit :

Cette infraction est un outil terriblement efficace mais également potentiellement dangereux pour les libertés individuelles. (…) On réprime alors non l’acte de terrorisme pas encore commis, mais la préparation même de cet acte de terrorisme.

Clé de voûte du système français, l’association de malfaiteurs est vigoureusement défendue par les praticiens de la lutte antiterroriste. Le juge Bruguière, longtemps à la tête de la Galerie Saint-Eloi et connu pour son utilisation extensive de cette infraction, oppose “l’approche judiciaire française [aux] exactions commises par les États-Unis à leur centre de détention de Guantanamo et avec celles commises par le Royaume-Uni, où les étrangers soupçonnés de terrorisme ont été détenus sans limite de temps et sans inculpation de 2001 à 2004, jusqu’à ce que la Haute Cour déclare ces mesures illégales.” Une comparaison, en forme de justification, courante chez les magistrats spécialisés.

Dès la moitié des années 1990, les deux piliers de l’antiterrorisme à la française sont posés. Ils sont sans cesse renforcés par les législations suivantes. En 2006, “la loi relative à la lutte contre le terrorisme” aggrave les peines encourues pour l’association de malfaiteurs, renforce la centralisation de la justice à Paris et prolonge la durée de la garde à vue, jusqu’à six jours en cas de “risque sérieux de l’imminence d’une action terroriste en France ou à l’étranger”.

Un attentat, une loi

Une planète antiterroriste

Une planète antiterroriste

OWNI a développé avec RFI une application qui recense les législations antiterroristes dans le monde. Justice d'exception, ...

1986, 1996, 2006. Les grandes lois antiterroristes interviennent après des attentats. Au milieu de la décennie 1980, plus d’une douzaine d’attentats sont commis à Paris, revendiqués par le Comité de solidarité avec les prisonniers politiques arabes et du Proche-Orient. En 1995, la France est frappée par une nouvelle série d’attentats. Le 25 juillet, dix personnes meurent et 117 sont blessées par l’explosion d’une bombe dans la station Saint-Michel, à Paris, un attentat perpétré par le Groupe islamique armé algérien selon les autorités.

Dix ans plus tard, la nouvelle législation intervient en réaction aux attentats de Londres, en juillet 2005. Le projet présenté mercredi en Conseil des ministres est une version diluée d’un texte préparé par le précédent gouvernement, quelques jours après l’affaire Merah.

En 1898, aux lendemains de l’adoption des lois scélérates, Francis de Pressensé, futur président de la Ligue des droits de l’homme, écrit :

La France a connu à plusieurs reprises, au cours de ce siècle, ces paniques, provoquées par certains attentats, savamment exploitées par la réaction et qui ont toujours fait payer à la liberté les frais d’une sécurité menteuse.


[Survolez l'infographie avec votre souris puis cliquez sur les ronds noirs et rouges pour en savoir plus sur chaque texte]


Infographie réalisée par Cédric Audinot /-)
Retrouvez le recensement par Owni des 42 lois sécuritaires adoptées entre 2002 et 2011, dont les lois antiterroristes ne sont qu’une partie.
L’ONG Human Rights Watch a publié en 2008 un rapport sur l’antiterrorisme en France : la justice court-circuitée
En 1999, la Ligue des droits de l’homme avait publié “France : la porte ouverte à l’arbitraire” sur le même sujet.

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La terreur dans le miroir http://owni.fr/2012/10/05/la-terreur-dans-le-miroir-antiterrorisme-manuel-valls/ http://owni.fr/2012/10/05/la-terreur-dans-le-miroir-antiterrorisme-manuel-valls/#comments Fri, 05 Oct 2012 12:53:36 +0000 Guillaume Dasquié http://owni.fr/?p=121593

En France, l’agenda de plusieurs années d’antiterrorisme triomphant devrait suffire à convaincre les responsables politiques de sa perversion, pour peu qu’il soit feuilleté.

Mais ce devoir d’inventaire-là n’est pas convoqué. La force des habitudes sûrement. Et donc depuis mercredi Paris annonce plein de confiance un renforcement de son “dispositif antiterroriste” – déjà le plus draconien d’Europe – par l’entremise du projet de loi proposé par le ministre de l’Intérieur Manuel Valls.

Depuis les lois de 1986 qui ont institué une justice d’exception pour sanctionner les crimes terroristes, jusqu’aux cinq dernières années au cours desquelles l’État a encouragé le développement d’une police secrète – la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) – dotée de prérogatives et de moyens comme la France n’en avait pas accordé depuis 1945 à un service de sécurité intérieure, avec une belle régularité, le droit commun et des principes républicains ont été sommés de se tordre pour rendre l’antiterrorisme plus efficace.

Corses

Les rapports de la DCRI sur Anonymous

Les rapports de la DCRI sur Anonymous

Depuis un an, la DCRI enquête sur un collectif d'Anonymous dans le cadre d'une procédure ouverte au Tribunal de grande ...

Avec quels résultats. L’honnête citoyen a pu s’alarmer de cette calamiteuse procédure contre les militants d’extrême-gauche de Tarnac, un peu vandales – à la manière de ces syndicalistes abimant des voies ferrées pour marquer leur mécontentement – mais placés sous le coup des lois antiterroristes. Mêmes sentiments avec les procédures, plus récentes, contre des Anonymous. Sentiment qu’une justice d’exception dévisse.

Le même citoyen s’est montré incrédule, à raison, en découvrant ces missions hautement stratégiques menées par la DCRI consistant à identifier les sources des journalistes du Monde ou du Canard Enchaîné qui travaillaient sur des sujets agaçants aux yeux de l’Élysée.

Ou encore ces investigations financières révélant l’implication personnelle de Bernard Squarcini, patron de la DCRI, dans le fonctionnement du Wagram, un cercle de jeu parisien contrôlé par des criminels corses et connu pour sa capacité à dégager d’épaisses enveloppes de cash.

Quant au scandale Merah, il montre, au fil des semaines, l’ampleur des duplicités que s’autorise une telle police secrète qui sans craindre la confusion recrute ça et là, manipule tantôt autant qu’elle surveille parfois des personnalités susceptibles de verser dans la criminalité terroriste. Et avec une inquiétante régularité.

En décembre 2008 déjà, l’affaire Kamel Bouchentouf avait montré comment les agents de ce service secret incitaient des jeunes arabisants des cités à fréquenter des jihadistes, avant de les lâcher pour mieux ficeler par la suite des dossiers judiciaires les incriminant.

Cosmétique

Ce sombre tableau se voit parfois opposer un discours sur la notion de pertes et profits. Oublieux de la sentence de Benjamin Franklin – “Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre” – il tente de nous convaincre que l’efficacité de notre machinerie sécuritaire contre les “vrais” terroristes (supposant qu’il en existe des “faux”) compense les graves dérives des dernières années.

Réponses clés en main pour la DCRI

Réponses clés en main pour la DCRI

L'instruction du dossier antiterroriste du physicien Adlène Hicheur n'a pas été clôturée mardi. Nouvelle pièce au ...

Mais même là, il est permis de douter. Le procès le 5 mai dernier du physicien Adlène Hicheur, présenté comme un gros poisson par les cadors de la DCRI, a pointé de nombreux dysfonctionnements et une instruction judiciaire très orientée.

Avec un bilan aussi dramatique, une réflexion distancée sur l’ensemble du dispositif antiterroriste paraissait s’imposer après l’alternance de la présidentielle. En lieu et place, nous devrons donc nous satisfaire d’un nouveau texte supposé permettre d’interpeller de dangereux ressortissants français qui s’illustreraient à l’étranger mais pas encore sur le sol national.

Cette loi permettra d’incriminer un garçon – comme Mohamed Merah – parti s’entraîner dans un camp en Afghanistan ou au Mali. Opération de cosmétique bon marché pour rassurer l’opinion. Puisque plusieurs procédures pénales ouvertes en France ont déjà permis de mettre en examen des individus au motif qu’ils avaient séjourné en Irak, près de la frontière syrienne ou en Afghanistan en compagnie de jihadistes notoires, grâce aux multiples possibilités offertes par notre justice d’exception. Ils s’appellent Rany Arnaud ou Peter Cherif.

Rany Arnaud a été mis en examen et incarcéré en France le 20 décembre 2008 sur la base de ses drôles de périples en Syrie et de ses messages favorables à la guerre sainte postés depuis l’étranger sur un site dit islamiste dont les serveurs sont également situés à l’étranger. Même Moez Garsallaoui, régulièrement présenté comme un responsable d’Al Qaïda évoluant entre le Pakistan et l’Afghanistan, pourrait être appréhendé sur la base des condamnations prises par des tribunaux en Belgique et en Suisse.

Le sociologue Dominique Linhardt, auteur de plusieurs travaux sur la violence politique et sur les épreuves qui marquent la vie des États, appartient à cette génération de chercheurs en sciences sociales qui se sont penchés sérieusement sur l’antiterrorisme, en tant qu’objet social.

Économie

Avec d’autres, depuis plus de dix ans, il étudie l’économie du soupçon, propre à la lutte antiterroriste. Par essence, dans un champ juridique qui accepte la justice d’exception, celle-ci suppose de sans cesse installer dans l’espace social des capteurs permettant de discriminer les honnêtes gens des terroristes, ceux-ci ayant pour caractéristique principale de se dissimuler au milieu des paisibles citoyens et d’évoluer parmi eux.

26 ans de lois antiterroristes

26 ans de lois antiterroristes

Description en une infographie interactive de la mécanique antiterroriste française, mise en place en 1986 au lendemain ...

D’où la propension d’une telle démarche à multiplier les dispositifs de surveillance destinés à mettre au jour des menaces, coûte que coûte, puisque l’absence de menace identifiée, signifie que les terroristes sont partout.

Les dernières recherches de Linhardt portent notamment sur la manière dont les structures de l’État allemand ont réagi aux crimes de terrorisme perpétrés entre 1964 et 1982 (voir ici le pdf du compte-rendu de ses travaux). Le recul conféré par le temps et l’accès à des archives facilité par la fin de ces affaires permettent aujourd’hui, à travers le cas allemand, d’approfondir les réflexions sur ces enjeux. C’est-à-dire de réfléchir au-delà de l’émotion que suscite le terrorisme, telle que la provoquent, sciemment, les organisations criminelles ayant recours à ces tactiques terroristes.

Selon Linhardt, de manière évidente, la menace qu’exerce le terrorisme contre l’État “réside moins dans l’horizon d’une possible destruction [de l'État] que dans celui du sapement de sa légitimité”.

Le terrorisme ne devient une arme de guerre que si l’État et ses dirigeants le placent devant un miroir déformant, jusqu’à en transformer leur propre perception du réel, jusqu’à laisser se développer un sentiment de menace constant de nature à justifier autre chose qu’une société démocratique surveillée a minima. Le courage, c’est avancer quand on a peur.


Photo de Manuel Valls via la galerie flickr de fondapol [CC-BY-SA] remixée par Ophelia Noor pour Owni.

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Fauchés par l’antiterrorisme http://owni.fr/2012/08/20/fauches-anti-terrorisme/ http://owni.fr/2012/08/20/fauches-anti-terrorisme/#comments Mon, 20 Aug 2012 15:05:27 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=118348

Comptes bancaires bloqués, carte de crédits inutilisables. Sans aucune autorisation d’un juge. Le gel des avoirs est une mesure administrative, à la discrétion de la direction générale du Trésor, qui dépend du ministère de l’Économie et des Finances.

Par arrêté, la DG Trésor peut donc empêcher une personne physique (un individu) ou morale (une entreprise, une association…) d’avoir accès à ses fonds placés en banque. Sans que le ministre ne donne son accord, contrairement aux décrets.

Un médecin anesthésiste de l’hôpital d’Épinal en a récemment fait la douloureuse expérience. Le 27 avril, son nom est dans la liste parue au journal officiel : ses avoirs financiers sont bloqués pour ses liens supposés avec le groupe islamiste Forsane Alizza, dissout le 1er mars sur décision du ministre de l’intérieur d’alors, Claude Guéant.

“Aider un frère”

Stupeur. Mohamed Lahmar lisait le site de Forsane Alizza, “un site d’information un peu plus sensibilisé sur la communauté” a-t-il expliqué à Owni. Il a rencontré à deux reprises Mohamed Achamlane, le leader du groupe. La première fois à Nantes mi-mars, chez lui pour discuter de la location d’une maison que le médecin possède dans la banlieue de Lyon. Mohamed Lahmar raconte aujourd’hui avoir voulu “aider un frère dans la nécessité”. Il devait lui louer la moitié de la villa à partir de 1er avril.

Dix jours de profils terroristes

Dix jours de profils terroristes

Au-delà de l'affaire judiciaire, sa couverture médiatique. Sur place, à Toulouse, notre journaliste a observé comment les ...

Cette première rencontre et une autre, à Lyon, valent à Mohamed Lahmar d’être entendu par la Direction centrale du renseignement intérieur (la DCRI ou FBI à la française) juste après l’arrestation très médiatisée et en grande pompe du chef de Forsane Alizza, le 30 mars 2012, au lendemain de l’affaire Merah. Mohamed Lahmar est entendu comme témoin, sans être inquiété. Aux enquêteurs de la DCRI, il raconte pendant un peu moins de quatre heures ses liens – distendus – avec Mohamed Achamlane. Il affirme qu’“aucune question, absolument aucune” portait sur le financement de Forsane Alizza. Les policiers l’interrogent sur sa villa, ses revenus… Rien qui ne laissait présager le gel de ses avoirs financiers à peine un mois plus tard.

La sanction, décidée par Bercy, intervient “au terme d’une procédure interministérielle”, nous a détaillé, par mail, la Direction Générale du Trésor, précisant :

Une part importante de ces éléments émanent en pratique du ministère de l’intérieur [dont dépendent les services de police et la DCRI, NDLR]”

“Émir parisien”

Aucun ministère ne prévient Mohamed Lahmar. Il est averti par une autre personne dont le nom figure dans l’arrêté : Ismaïl Sekouri. Lui non plus ne faisait pas partie de Forsane Alizza. Lui aussi était lecteur du site, “par intérêt pour l’actualité cachée par les médias” que ce site relevait, nous explique-t-il. Il a rencontré le groupe lors de son ultime coup d’éclat public, peu après l’annonce de sa dissolution. Les membres de Forsane Alizza avaient manifesté à Paris, près de la rue Jean-Pierre Timbaud (11e arrondissement). Ismaïl Sekouri raconte être ensuite resté en contact, principalement par téléphone, avec Mohamed Achamlane aussi connu sous le nom d’Abou Hamza.

Dans l’arrêté, il est décrit comme “l’émir parisien” du groupe. “J’aimerais bien qu’on m’explique ce que ça signifie” lance-t-il, ironique et grave. Lui n’a jamais été approché par les enquêteurs de la DCRI. A peine se souvient-il d’une étrange visite à son domicile, fin février. En sortant de chez lui, il tombe sur des hommes en civil dans le sas d’entrée de son immeuble. Ils affirment venir vérifier des noms et des adresses, “des questions d’immigration” invoquent-ils. Leurs très rapides coups d’œil sur les boites aux lettres font naître des doutes chez Ismaï Sekouri. C’est le seul épisode un peu louche qui lui vienne en tête entre sa rencontre avec le leader de Forsane Alizza et son arrestation.

Bataille juridique

Lahmar et Ismaïl Sekouri n’appartenaient pas au premier cercle de Forsane Alizza. Ils en étaient même très éloignés. Mais le couperet financier est tombé. Ils l’ont contesté. D’abord par un référé suspension déposé le 7 mai, rejeté quelques jours plus tard sans que les parties n’aient été convoquées [Voir le jugement]. L’urgence, critère nécessaire pour l’examen de ce genre de demande, n’était pas caractérisée selon le juge Rouvière, du tribunal administratif de Paris.

Un second référé suspension est déposé le 4 juillet. A l’audience, le 31 juillet, le ministère de l’Economie et des Finances n’est pas représenté. Dans le mémoire adressé au tribunal administratif, et dont Owni a eu connaissance, justification sibylline est apportée :

Même si les requérants contestent avoir commis ou tenté de commettre des actes de terrorisme, les avoir facilités ou y avoir participé, l’administration dispose d’éléments permettant d’établir ces faits. C’est sur cette base que l’arrêté contesté a été pris.

Ces “éléments” ne sont pas précisés, à la grande surprise et au désarroi plus grand encore des demandeurs et de leur avocat, Me Philippe Missamou. Rien n‘indique pourquoi leurs avoirs ont été gelés. Selon la direction générale du Trésor, “le ministère de la Justice est systématiquement consulté dans le cadre de la procédure [de gel des avoirs] de façon à ce qu’un lien soit éventuellement établi par ses soins avec des procédures judiciaires en cours.”

Une nouvelle fois, le tribunal administratif déboute Ismaïl Sekouri et Mohamed Lahmar arguant que le dégel partiel de leurs avoirs pour couvrir les dépenses courantes ne permet pas de caractériser l’urgence [Voir le jugement rendu]. Mohamed Lahmar a obtenu le versement à ses enfants et son ex-femme de leurs pensions. Il touche aussi 475 euros par mois en liquide, et doit justifier tous ses achats. Baguette de pain comprise. Rien qui n’empêche “une situation d’impécuniosité grave” selon Me Philippe Missamou.

L’incompréhension de Mohamed Lahmar a laissé place à de la colère :

Je ne voulais pas de ce buzz médiatique, mais c’est une injustice. J’en viens à penser que tout musulman est suspecté de terrorisme. Je passe mes journées à soigner, à empêcher la douleur des autres, c’est ça le terrorisme ?

Liste nationale

48 personnes et groupes ont vu leurs avoirs gelés en France métropolitaine pour financement du terrorisme. Parmi eux, une immense majorité de membres et de personnes proches de Forsane Alizza. Selon la liste des personnes soumises au gel des avoirs financiers, publiée sur le site de la direction générale du Trésor, 35 personnes de Forsane Alizza sont sous le coup de ces sanctions : tous les membres de l’association dissoute, mais aussi des individus estimés – de façon discrétionnaire – proches, comme Mohamed Lahmar et Ismaïl Sekouri.

Le 14 juillet, les avoirs d’Emilie K. avaient aussi été gelés, en raison de son “soutien actif à Forsane Alizza” et de son projet “de se rendre prochainement dans une zone de combat à l’étranger afin d’y mener le jihad armé”. Une décision aux effets secondaires très indésirables, selon un juge du pôle antiterroriste cité par Le Parisien :

A chaque fois qu’un arrêté est publié au [Journal Officiel], le nom de la cible est rendu public. L’intéressé sait donc, avant même d’être convoqué par un magistrat, qu’il est dans le collimateur de la justice. C’est aberrant. On voudrait torpiller une enquête que l’on ne s’y prendrait pas autrement.

La juge du pôle chargée du volet terroriste de l’enquête sur Forsane Alizza, Nathalie Poux, n’a pas souhaité répondre à nos questions sur les mécanismes de sanction. De même que la direction générale du Trésor qui, sur ces cas précis, ne souhaite faire “aucun commentaire particulier si ce n’est qu’il s’agit d’une disposition législative datant de 2006 qu’il a fallu mettre en place”. Depuis un arrêté du 27 juillet renouvelant des sanctions plus anciennes, 131 personnes et groupes terroristes sous le coup de sanctions financières en Outre-Mer. Sur ce cas aussi, Bercy se mure aussi dans le silence.


Crédits photo FlickR CC by Pasukaru 76

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http://owni.fr/2012/08/20/fauches-anti-terrorisme/feed/ 9
Hicheur : “j’étais le pigeon providentiel” http://owni.fr/2012/07/02/adlene-hicheur-jetais-le-pigeon-providentiel/ http://owni.fr/2012/07/02/adlene-hicheur-jetais-le-pigeon-providentiel/#comments Mon, 02 Jul 2012 04:30:44 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=114597 Owni, Hicheur dénonce, non sans arguments, la construction d'un dossier à charge. "De l'inquisitoire, pas du judiciaire" explique-t-il. ]]>

Adlène Hicheur est sorti de prison. Le 15 mai au matin, le conseiller d’insertion et de probation suggère que sa détention pourrait prendre fin “très prochainement”. Le soir même, il est dehors. Il aura passé plus de deux ans et demi à la maison d’arrêt de Fresnes, maintenu en détention provisoire toute la durée de l’instruction.

Physicien au Centre européen de recherche en nucléaire (Cern), ce physicien de haut niveau a été arrêté le 8 octobre 2009 au domicile de ses parents, à Vienne dans l’Isère. Les mots-clés fusent alors dans la presse : physicien, nucléaire, Al Qaida. Terrorisme. À l’issue de sa garde à vue, Adlène Hicheur est mis en examen pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Ses activités sur Internet sont dans la ligne de mire des enquêteurs. Lui dénonce depuis le début un dossier vide, instrumentalisé à des fins politiques.

Le parfait terroriste physicien

Le parfait terroriste physicien

Il y a deux ans, un physicien du Cern d'origine algérienne, devenait le client idéal de l'antiterrorisme à la française ...

Il a accepté de répondre à Owni, d’évoquer sa détention, sa relation avec les enquêteurs puis les magistrats, mais aussi les curiosités de cette affaire, notamment l’identité de son mystérieux correspondant, un certain Phoenix Shadow. Les services antiterroristes en sont persuadés : derrière se cacherait un cadre d’Al Qaida au Maghreb (Aqmi), Moustapha Debchi, mais la preuve de cette équation n’a jamais été apportée.

Condamné le 5 mai à cinq ans de prison, dont un an avec sursis, il est sorti à la faveur de remise de peine. Sans attendre, il a repris contact avec ses anciens collègues, pour éviter “de sombrer dans la dépression”. Ultime bataille, il tente de faire rectifier sa page Wikipedia : “Une vie ne peut pas se résumer à un fait divers”.

Quelle a été votre réaction à l’annonce du jugement ?

Aucune surprise. J’avais vu le déroulement de l’instruction, j’avais vu qu’on avait fait de moi une victime expiatoire d’une certaine politique. C’est le paradigme du bouc-émissaire : on prend une personne qu’on charge du point de vue symbolique et on l’immole rituellement devant la société. Je ne me faisais aucune illusion, je voulais seulement être jugé rapidement pour que la détention provisoire cesse, pour ma famille, pour moi.

Le système a tenu à aller jusqu’au bout parce qu’il fallait envoyer des messages forts à la société. Ce mode de gouvernance est très dangereux. J’appelle ça de l’aliénation sécuritaire. Ça tue le génie créatif, l’épanouissement intellectuel. Mieux vaut agiter des chimères que faire face à ses propres carences. Dans leur tribune les gens de Tarnac l’ont très bien dit : la peur est le sentiment le plus facile à instrumentaliser.

La peur, l’inconnu, l’ignorance : les trois se tiennent. Les apprentis sorciers sont incapables de résoudre des problèmes sur des sujets sérieux comme le chômage, mais ils sont les premiers à agiter la matraque. Mon cas met à nu leur prétention de respecter les gens qui travaillent. Je suis l’exemple typique de taulier au travail, de personne qui se lève tôt. Ma vie est brisée pour des éléments qui n’auraient jamais conduit à une incarcération dans un autre pays. Ça devrait mettre la puce à l’oreille à tout le monde, même des gens qui n’ont pas la même culture politique que moi. On commence par les uns et on va ensuite vers les autres. C’est exactement la logique d’un système totalitaire.

Le tribunal a aussi prononcé la confiscation des saisies d’argent liquide, environ 15.000 euros, et du matériel informatique.

La saisie de l’argent liquide c’est du vol institutionnalisé, la saisie de mon matériel informatique un assassinat intellectuel. J’avais des centaines d’heures de travail dessus ! Des idées, des articles, des cours, des données scientifiques…

Vous étiez poursuivi pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, pour financement du terroriste et pour avoir diffusé de la propagande, ce que le procureur désignait sous l’expression “jihad médiatique”.

C’est vraiment de la surenchère. Je n’ai pas de site, pas de blog. Je n’ai intégré aucun projet médiatique contrairement à ce qui a été dit. J’ai interagi en tant que user (utilisateur) sur des forums, échangeant des opinions. C’est vraiment de la mauvaise foi de l’accusation ! Qu’est-ce qu’ils appellent jihad médiatique ? C’est un peu vague… Ce qui peut leur poser problème, c’est que des groupes, disons politico-militaires pour rester technique, fassent des reportages sur leurs activités et les publient. L’expression fourre-tout, d’après ce que j’ai compris, permet de toucher toute personne qui aurait accès à un moment ou à un autre à des publications de ces organes médiatiques.

Est-ce que traduire ce genre de publications en citant la source constitue du jihad médiatique ? C’est très vicieux de rechercher des actes positifs qui constituent des incriminations, surtout au vue des conséquences terribles ! N’importe quel journaliste peut être amené à faire ce genre de travail sans pour autant faire partie de l’organe médiatique ou approuver ce qu’il traduit. Pour en arriver là, il faut vraiment qu’il n’y ait rien dans le dossier. C’est grotesque et ridicule. Ils ont essayé de m’avoir a minima.

Vos défenseurs avaient dénoncé une instruction à charge, mais à la veille du procès, Me Baudouin, votre avocat, s’en remettait à l’indépendance de la Cour et au regard nouveau qu’elle poserait sur votre dossier.

La 14e chambre correctionnelle du TGI de Paris ne juge pas, elle condamne.

Hicheur bon terroriste confirmé

Hicheur bon terroriste confirmé

Le physicien du Cern accusé d'activités terroristes, Adlène Hicheur, a comparu jeudi et vendredi devant le tribunal ...

Il avait également pointé la façon dont la président, Mme Rebeyrotte, menait la séance.

Il n’y a pas eu de questions sur des points précis, pas de débat contradictoire. Ce n’était pas un procès mais un rouleau compresseur visant à asphyxier la défense. Plusieurs griefs étaient lus pendant 20 ou 30 minutes et je n’avais pas le temps de répondre. Pour moi, la condamnation n’a pas été prononcée par la justice mais par la police. La police me voulait, me voulait condamné.

Dans les institutions d’un État qui se respecte, il existe des contre-pouvoirs qui peuvent arrêter ce genre de bêtises. Le grand public retient des mots-clés : “musulman”, “physicien”, “Al Qaida”. Ça relève de la psychologie de masse.

Quelles relations aviez-vous avec le juge d’instruction, Christophe Teissier ? Dans un entretien accordé à Mediapart, vous évoquiez une audition “stérile et sans intérêt”.

Les mêmes éléments revenaient sans arrêt. Au début, j’étais naïf. Je pensais qu’au moins un ou deux magistrats constateraient le vide du dossier et décideraient d’arrêter. Petit à petit j’ai découvert la justice française, la chape de plomb qui vous tombe dessus. La mauvaise volonté se mêle à la mauvaise foi. Et là on comprend qu’on est entre de très mauvaises mains.

J’avais en tête que le magistrat n’était pas un flic, même si la réputation du pôle antiterroriste n’est plus à faire… J’avais espoir qu’on revienne à un peu de sagesse ou à défaut d’équité : quand il n’y a rien, il n’y a rien. Il a joué le rôle d’un flic main dans la main avec le procureur.

“Et ils s’acharnent, ils s’acharnent”

Comment se sont passés les interrogatoires pendant votre garde à vue ?

Mal. Le rapport voyous-braves gens était inversé : les voyous c’était eux ! Parfois, les insultes fusaient. Les policiers utilisaient mon frère, la santé de ma mère pour faire pression sur moi pendant ma garde à vue. Ils ressemblent à des psychopathes hystériques tout excités. Peut-être parce qu’ils sont toute l’année dans un bureau à se croiser les doigts… Dès qu’ils peuvent avoir un os à ronger, toutes les frustrations de leur quotidien – pas terrible d’ailleurs – se déchargent sur vous.

Les gens de Tarnac l’ont bien compris. Ils sont passés par la machine. Ils ont souffert de la même chose que moi : l’acharnement policier. Il en faut peu. Deux ou trois officiers se montent la tête, au bout d’un moment c’est comme si vous leur apparteniez, et ils s’acharnent, ils s’acharnent. Et puis, des carrières sont en jeu… Dans mon affaire, il y a eu au moins une promotion avérée : les grades changent entre les PV de début et de fin. Utiliser les moyens de l’État pour faire du mal à quelqu’un est d’une lâcheté sans nom.

Sous quelle forme avez-vous ressenti ce “déchargement” ?

Le ton, l’excitation. En garde à vue, on m’a dit : “vous allez perdre votre boulot, vous ne serez plus physicien, vous ne serez plus au Cern”. C’est d’un cynisme total ! Les gars sont assurés de leurs pleins pouvoirs. Il y avait un plaisir à me faire perdre un certain statut social, l’un des chenapans l’a exprimé ouvertement. Ça tranche avec le comportement des deux enquêteurs suisses qui sont venus m’interroger en septembre 2010. C’était des gens très posés, très carrés. Ils ont fait leur boulot sans tout ce cinéma.

Des détails très ténus sont montés en épingle : le plus choquant est sans doute les questions sur la pratique religieuse. Pourquoi on me demande si je prie ou si je jeûne dans le cadre d’une enquête judiciaire ? On évoque la vie et la culture familiales. Je réponds que nous sommes proches de la religion musulmane tout en étant ouverts. Ensuite les questions dévient sur des situations politiques, en Irak en Afghanistan. Jamais j’aurais pensé à ce moment-là que mes réponses seraient utilisées dans le réquisitoire. C’est de l’inquisitoire, pas du judiciaire.

Lorsque le procureur vous avait demandé si vous étiez salafiste, lors du procès, vous lui avez répondu qu’il faudrait une thèse de doctorat pour en parler.

Je trouve étonnant qu’un tribunal chargé de caractériser une infraction pénale parle de salafisme. On balance les slogans, des chimères, des sorcières. Je peux parler en détails des tendances et mouvances dans le monde musulman. J’ai beaucoup lu et c’est frustrant d’avoir affaire à des gens qui ne sont pas très au fait mais utilisent ça comme outil de guerre psychologique. C’est chasser toute rationalité à l’affaire pour garder l’irrationnel qui excite les cordes de l’opinion publique.

Il y a des raccourcis un peu simplistes du genre “salafisme = activité armée”. Les Frères musulmans ne sont pas salafistes mais ont des branches armées dans différents pays. Les Taliban n’ont rien à voir avec les salafistes. C’est beaucoup plus compliqué que le simplisme présenté au public.

Vous étiez interrogé par des agents de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) ?

Par deux binômes d’agents de la DCRI. Un de jour, un de nuit. J’avais l’impression qu’ils avaient découvert un filon : le filon Internet. Avec Internet, il n’y a pas de filature, de planques avec le thermos… Sur Internet, les ingénieurs se bloquent sur l’IP et interceptent le flux. En parallèle, les policiers peuvent même jouer aux jeux vidéo dans un bureau à côté à Levallois.

Ivan Colonna dans la cellule à côté

Comment s’est passée votre détention à Fresnes ?

L’administration est stricte, zélée même. Les cours de promenade sont minuscules, 40m2. Personne ne peut s’imaginer les affres de la détention : ce sont des familles brisées, des couples désunis, des épouses qui pleurent dans les parloirs, des mamans qui ne mangent plus. C’est contre-productif comme disait Me Baudouin. Plus une politique sécuritaire est coercitive, plus elle crée de la violence et de l’instabilité.

Dans quel quartier étiez-vous à Fresnes ?

Au début, j’étais à l’hôpital pénitentiaire en raison de mon état de santé. J’y suis resté quatre mois. Puis j’ai été transféré en 3e division du quartier principal.

Vos codétenus étaient des mis en examen ou des condamnés dans des affaires similaires ?

Après l’hôpital pénitentiaire, j’étais dans la 3e division Sud, au rez-de-chaussée avec tous les malades : 90% sont des cas psychiatriques, dont certains très graves. J’y suis resté presque un an. Je n’ai jamais vu autant de misère humaine de ma vie. J’avais le rôle de Jack Nicholson dans Vol au-dessus d’un nid de coucous.
Ensuite j’ai été transféré au Nord, toujours au rez-de-chaussée. J’ai croisé différents types de profils, essentiellement du banditisme et un seul cas politique, c’était Ivan Colonna. Il était dans la cellule à côté.

Pas d’autres personnes impliquées dans des affaires terroristes ?

Dans les autres activités, comme le terrain de sport, j’ai croisé des Basques et d’autres Corses.

Quel genre de relations aviez-vous avec eux ?

Un esprit de camaraderie de prison. J’ai aussi ressenti beaucoup de compassion. Personne n’est dupe en prison, tout le monde connaît bien le système, ils savent décoder l’actualité. J’ai senti de la révolte aussi, des droits communs notamment. Le discours : “si vous aviez fait des études, vous ne seriez pas là” était faux. Eux se retrouvaient avec plus de droits que moi, qui ai pourtant fait beaucoup d’études !

Avez-vous fait appel à une solidarité confessionnelle pour “cantiner” ou autre ?

J’interagis avec les gens selon un seul critère : qu’ils soient réglos. J’ai partagé de bons moments avec des gens très différents de moi tant qu’ils sont agréables et pas nuisibles. On est tous dans le pétrin ! Quand quelqu’un manque d’un produit, on lui donne et vice versa. C’est quasiment automatique.

Tous les détenus n’ont pas de doctorat en physique des particules. Comment s’est passé votre détention de ce point de vue ?

J’ai lu quelques bouquins, dont La force de l’ordre de Didier Fassin sur la police anti-criminalité et Les veines ouvertes de l’Amérique latine qui m’a marqué. Des ouvrages scientifiques aussi pour m’entretenir. J’ai réussi à tenir les 20 premiers mois, à travailler, à être efficace. Ensuite, je fatiguais.

J’ai eu du mal à m’ajuster à la mentalité de la prison. L’administration pénitentiaire avait elle du mal à voir sous quel registre me gérer. L’aspect sécuritaire et disciplinaire des peines fait que les détenus particulièrement surveillés (DPS) et de la catégorie “mouvance” ont des fouilles régulières des cellules et une fouille à corps intégrale, ce qui est particulièrement humiliant et parfaitement illégal. Il y a une volonté politique de rendre la détention préventive la plus pénible possible pour user la personne. C’est ainsi à Fresnes en tout cas.

La notion du châtiment douloureux est très forte en France. Certains personnels de l’administration pénitentiaire font sentir qu’ils sont là pour être odieux. Les surveillants sont très jeunes, et tout dépend de leur caractère et de leur humeur. C’est un jeu : celui qui s’énerve perd la partie.

Pigeon providentiel

Dès les premiers jours de votre arrestation, des articles utilisaient les mots clés “terroriste”, “physicien”, “nucléaire” dans leur titre. Quand avez-vous appris cette médiatisation, très forte dès le début ?

Je suis passé en comparution médiatique immédiate. Le circuit passe par la police, le ministère de l’intérieur et la Présidence, puis redescend dans les médias qu’ils connaissent et choisissent. Mes parents sont venus à mon premier parloir, ils m’ont raconté verbalement. J’étais coupé du monde jusque-là.

Quand j’ai réalisé, j’étais dépressif. J’ai compris que s’ils avaient fait ce bruit-là, rien ne les arrêterait. J’ai réalisé l’ampleur de l’entourloupe : j’étais le pigeon providentiel.

La médiatisation d’une personne privée qui ne l’a pas choisie est d’une grande violence psychologique. L’instrumentalisation des médias est très puissante, même un “ange qui marche sur terre” se ferait détruire. Je suis frappé du sceau des parias, pour que je ne puisse pas me refaire, pour que je sois précaire le restant de mes jours. On verra, je ne suis pas prêt à baisser les bras, je veux me refaire, tant bien que mal.

Vous avez été présenté comme la figure du loup solitaire par certains responsables de la lutte antiterroriste.

Dans le passé, ils avaient au minimum des bandes de copains à qui on pouvait reprocher, ou pas – je ne sais pas – une certaine forme de prosélytisme. Il y avait des points d’ancrage pour donner l’illusion. Pas dans mon cas. Il y a un gars qui a étudié toute sa jeunesse, qui travaille, qui vit dans un environnement rural. Jamais j’aurais pensé qu’on arriverait à de tels extrêmes à partir de rien. C’est une dérive dans la dérive.

Ils ont été obligés de créer un profil artificiel pour justifier toute la mascarade. Il n’appartient pas à un groupe ? Il vit tout seul ? Ce sera le loup solitaire par exemple. La rhétorique ancienne ne pouvait pas fonctionner.

En s’appuyant sur votre utilisation d’Internet ?

Oui, mais le plus grave c’est l’idée qui se dégage de l’expression loup solitaire. On imagine quelqu’un qui vit reclus. C’est faux. Je travaillais dans le cadre de collaboration internationale, j’avais affaire à des centaines de personnes quasi-quotidiennement au Cern. Plusieurs milliers de physiciens de nationalités différentes travaillent ensemble. Aucun outil de sociabilité n’est aussi fort ! Il faut s’adapter à toutes les cultures, à tous les tempéraments, à toutes les personnalités.

Cette partie a été zappée dans les médias. La personne réelle disparaît au profil d’un clone, d’un hologramme, habillé de toutes les caractéristiques pour vendre la justice à l’opinion publique. Il y avait une feuille blanche, immaculée, avec un bon cursus scolaire et universitaire. C’était un défi de construire une intrigue à partir de mon vécu ! Personne dans mon entourage familial, professionnel, de mon voisinage ne voulait me “salir”. Alors ils sont allés chercher des internautes avec qui j’avais interagi il y a x années.

Pourquoi acceptez-vous de parler aujourd’hui ?

Je ne parle pas à tout le monde. Je considère que ça peut être productif ou positif, mais à dose homéopathique. S’il fallait tout dire, on pourrait noircir des pages.

Désintégration morale

Comment voyez-vous votre avenir maintenant ?

Difficile. Par nature, j’ai tendance à être prudent. Dans un premier temps, je n’accepte pas qu’on me démissionne de ma passion et de mon gagne-pain par “la force des mitraillettes” comme dirait Louis de Funès. Si je devais quitter le milieu scientifique ou la physique des particules, ce serait de mon propre chef. Utiliser le sécuritaire pour me faire basculer dans la précarité dépasse une procédure de sanction pénale – déjà injuste – pour me faire entrer dans un processus de désintégration morale. Je n’accepte pas que la force publique me coupe de ma passion pour laquelle j’ai sacrifié ma jeunesse. Il faut être réaliste et voir comment rebondir. Je prospecte, rien n’est défini. J’ignore si la campagne a influencé les employeurs, je veux d’abord briser cet embargo.

Vous avez été soutenu par votre milieu professionnel.

Oui, la solidarité est venue des scientifiques, mais il reste le milieu administratif. Je n’ai pas de visibilité dessus.

Et l’Algérie, dont vous avez également la nationalité ?

C’est un grand point d’interrogation. Il est trop tôt pour le dire.

C’est en Algérie que vivrait Phoenix Shadow, la personne avec qui vous correspondiez. Lors du procès, vous avez dit qu’on vous présentait un pseudo et un nom, comme une équation à deux inconnues, et qu’on vous demandait d’affirmer que l’un correspond à l’autre.

Dès le début de l’instruction, les avocats n’ont eu de cesse de demander d’où venait ce nom, Moustapha Debchi. A aucun moment, l’explication n’a été fournie. Pour mon cas, l’adresse IP renvoie à une connexion Internet etc. En face, un nom est balancé sans justification, sans preuve.

A aucun moment vous ne connaissiez l’identité de la personne derrière le pseudo Phoenix Shadow ?
Réponses clés en main pour la DCRI

Réponses clés en main pour la DCRI

L'instruction du dossier antiterroriste du physicien Adlène Hicheur n'a pas été clôturée mardi. Nouvelle pièce au ...

Phoenix Shadow restait Phoenix Shadow, point à la ligne. Il n’y a pas eu de connaissance, de volonté de connaissance. C’était une interaction contingente à un moment donné utilisée des mois plus tard. Je pense qu’au début on voulait me coller à l’affaire des filières belgo-afghanes. Je l’ai senti pendant la garde à vue. Trop peu d’éléments existaient alors que le scénario aurait été terrible : un scientifique dans l’affaire des filières !

Puis, les questions ont évolué au fil de la garde à vue, en fonction de l’exploitation de mon disque dur. Les questions se sont réorientées vers Aqmi. Il n’y a vraiment que dans l’antiterrorisme que ça se passe ainsi. Normalement, quand une personne est placée en garde à vue, il faut lui signifier le chef de mise en garde à vue et remplir le cas d’espèce, ce qui lui est reproché. Moi, il n’y avait rien ! Le chef de mise en garde à vue était “présomption grave d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste”, mais la suite était vide, blanche.

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L’attentat oublié du Caire http://owni.fr/2012/06/12/lattentat-oublie-du-caire/ http://owni.fr/2012/06/12/lattentat-oublie-du-caire/#comments Tue, 12 Jun 2012 20:09:03 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=113137

L’enquête est en panne. Plus de trois ans après l’attentat du Caire du 22 février 2009, rien n’indique que les investigations aient mené à des résultats concrets. À 18h50 ce jour-là, une bombe artisanale explose dans le souk Khan el-Khalili, sur le parvis de la mosquée Hussein. Un groupe de jeunes français est touché. Ils viennent de Levallois, à l’Ouest de Paris. Cécile Vannier, 17 ans, meurt quelques heures plus tard. 24 personnes sont blessés, dont 17 Français. Le nombre précis de victimes n’a pu être déterminé précisément. Des jeunes affirment avoir vu le corps d’au moins un enfant égyptien, “le ventre ouvert, ses entrailles s’en échappa[nt]“.

Officiellement, la justice française ne retient qu’une victime décédée, Cécile Vannier. Compétente quand un ressortissant français est pris pour cible à l’étranger, la section antiterroriste du Tribunal de grande instance de Paris a ouvert une information judiciare, désespérément vide plus de trois ans après les faits. Elle a été confiée au président de la galerie Saint-Eloi, le juge Yves Jannier, récemment nommé procureur de la République à Pontoise.

Gaza

Aujourd’hui, les parties civiles dénoncent l’absence de résultats. Une seule personne est mise en examen en France. Dude Hoxha, dont le prénom a parfois été orthographié Dodi dans la presse. Il lui est reproché d’avoir participé à une association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste et d’avoir participé au financement d’un groupe terroriste. La justice vise ses relations avec Khaled Moustafa, un Égyptien suspecté d’être l’un des principaux membres du groupe Jaish al Islam, l’armée de l’Islam, lié à Al Qaida et implanté dans la bande de Gaza.

Dude Hoxha est française. Yeux bleus et peau claire, couverte d’un voile noir et d’un autre blanc, elle a répondu aux questions d’Owni dans un café parisien. Passée par Londres, où elle était en lien avec les figures radicales du Londonistan, notamment Omar el Bakri, elle s’est installée en Égypte en août 2005 avec son fils en bas âge. Elle affirme avoir des dissensions et divergences de points de vue avec certaines figures très connues du milieu jihadiste en Europe. Le 23 mai 2009, trois mois après l’attentat, la Sécurité d’État égyptienne l’arrête en même temps que six autres personnes et la place en détention avec son fils de sept ans, raconte-elle aujourd’hui. Elle est enfermée et torturée :

Ils ont menacé de torturer mon fils de sept ans, mais ne l’ont jamais fait parce qu’il a la nationalité française je pense.

Les questions des services de sécurité égyptiens portent sur Khaled Moustafa, l’un des responsables du groupe dans la bande de Gaza. Dude Hoxha affirme avoir appris que son arrestation était en lien avec l’attentat du 22 février que plusieurs semaines plus tard, à la faveur de la première visite consulaire. Sa détention se prolonge jusqu’au 8 mars 2010, elle est alors libérée et expulsée dans les jours suivants vers la France.

À son retour, les services antiterroristes français la surveillent. Elle est placée sous écoute, puis décision est prise de l’interpeller. Le 15 novembre 2010, elle est arrêtée à son domicile dans le Val de Marne, placée en garde à vue pendant 96 heures et mise en examen. Les enquêteurs s’interrogent sur ses liens avec Khaled Moustafa. A Owni, elle explique avoir correspondu avec lui sur MSN et par mail avant son arrivée au Caire puis lors de son séjour.

Dude Hoxha dit aussi l’avoir rencontré deux fois, mais avoir rompu le contact entre 2007 et la fin de l’année 2008, jusqu’à la guerre à Gaza pendant laquelle elle prend de ses nouvelles. Les enquêteurs s’intéressent aussi à une somme d’environ 10 000 dollars qui aurait transité par Dude Hoxha à destination de Khaled Moustafa. Elle se montre peu loquace arguant qu’il s’agirait d’une collecte de fonds pour les enfants de Gaza à remettre à la femme de Khaled Moustafa.

Alibi judiciaire

Les autorités égyptiennes se félicitent de les avoir arrêtés, lui et Ahmed Sediq, également présenté par les autorités égyptiennes comme l’un des chefs de la cellule terroriste responsable de l’attentat du 22 février. Principaux suspects pour les autorités égyptiennes qui avaient évoqué de nombreuses pistes avant, ils ont été relâchés après une courte période en détention. C’est l’avocat de Dude Hoxha, Pascal Garbarini, qui a apporté des éléments, parus dans la presse égyptienne, concernant la libération de Moustafa et Sediq.

En charge du dossier depuis juillet 2011, il plaidait en appel une demande de placement sous contrôle judiciaire de sa cliente, devant la chambre de l’instruction. Yves Jannier, magistrat instructeur, a confirmé les informations apportées par l’avocat : les deux suspects ont bien été relâchés par les autorités égyptiennes. La chambre de l’instruction a accordé la remise en liberté de Dude Hoxha le 8 novembre 2011.

Me Garbarini, plus familier des affaires corses que des dossiers jihadistes, ne mâche pas ses mots à l’égard de la tenue de l’enquête :

Les éléments ne justifiaient pas de mise en examen ni la détention provisoire. Il s’agit de donner le change aux victimes, qui ont bien entendu le droit de savoir. Mme Hoxha sert de justificatif face à une enquête carencée. Elle sert d’alibi judiciaire.

Les parties civiles sont elles aussi loin de se satisfaire de ces trois ans d’enquête, qui n’ont pour l’heure permis la mise en examen que d’une seule personne, malgré les promesses de Nicolas Sarkozy au lendemain de l’attentat. Malgré les pressions sur certains témoins entendus aussi. Lors d’un interrogatoire par la DCRI, les enquêteurs ont dit à l’un d’eux, qui tient à rester anonyme :

Ce dossier tient à cœur au maire de Levallois.

Mystérieuse note de la DGSE

Sous-entendu, Patrick Balkany, proche de l’ancien Président français. Les parents de Cécile – Catherine et Jean-Luc Vannier – et trois autres mères de victimes, Chantal Anglade, Sophie Darses et Joëlle Cocher, ont interpellé les responsables politiques à plusieurs reprises. Elles cherchent à obtenir la déclassification d’une note des services de renseignement extérieur français, la DGSE. Trois jours après l’attentat, Le Canard Enchainé se faisait l’écho d’une “analyse effectuée par plusieurs membres de la DGSE” :

A l’origine de la version DGSE de l’attentat : l’enquête réalisée sur place par les correspondants du service de renseignement, et une information selon laquelle les jeunes touristes français auraient été pistés pendant plusieurs jours par un groupe terroriste. Ces poseurs de bombes auraient ainsi voulu faire “payer” à la France la participation de la frégate “Germinal” au blocus des côtes de Gaza en compagnie de navires israéliens. Cette participation de Paris à la surveillance du territoire palestinien, sous prétexte de possibles trafics d’armes, a été récemment dénoncée par plusieurs sites islamistes égyptiens.

La version qui prévalait jusque là était celle de la frappe aveugle. Les informations de l’hebdomadaire satirique laissent penser que l’attentat intervient au contraire en représailles à un discret soutien français à Israël pendant le conflit. Depuis, les familles de victimes demandent le déclassement de la fameuse note. Ce qui leur a été accordé par la Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN), selon l’avis paru au Journal officiel le 23 septembre 2011. La commission cite “la note n°30455 de la direction générale de la sécurité extérieure en date du 23 février 2009″. La-dite note, versée au dossier, ne correspond pas aux attentes des parties civiles. Dans un courrier adressé au nouveau ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, elles écrivent :

La note déclassifiée versée au dossier ne correspond pas à celle citée par Le Canard Enchaîné, ni ne porte le numéro 30455 indiqué par le JO (…), et enfin ne fait référence ni à la frégate Germinal, ni au fait que le groupe d’adolescents aurait été suivi et visé. En d’autres termes, la note versée n’est pas la note déclassifiée et c’est une autre note que celle dont nous avons demandé et redemandons la déclassification. En conséquence, nous exigeons la déclassification de la note citée par Le Canard Enchaîné.

De fait, la note déclassifiée, qu’Owni a consultée, présente de possibles auteurs de l’attentat et leurs différents motifs. Les auteurs penchent pour une action d’Al-Qaida, rappelant le “parcours personnel” du numéro deux du groupe terroriste, Ayman al-Zawahiri, lui-même égyptien. A aucun moment n’apparaît l’opération Plomb Durci ou la frégate Germinal. Reçus à leur demande le 10 avril par Jean-Pierre Picca, le conseiller justice de l’ancien Président de la République, les parents de Cécile Vannier ont eu la surprise d’apprendre qu’il s’agit d’un “malentendu”, que le juge Jannier n’avait sans doute pas compris à quelle note précise ils faisaient référence.

Poussière

Un juge qui concentre les critiques, tant des mis en examen que des parties civiles. Lors de l’interpellation en France de Dude Hohxa, Yves Jannier aurait averti les parties civiles que de “la poussière recouvrirait le dossier” si elle venait à s’ébruiter, racontent les familles, choquées par une telle réplique. Elles rappellent que les deux commissions rogatoires n’ont donné aucun résultat. Yves Jannier s’est rendu à deux reprises en Égypte, la première fois en décembre 2009, la seconde fin 2011. Selon plusieurs sources, aucune pièce issue de ces séjours n’est venue enrichir le dossier. Dude Hoxha affirme ne pas avoir été interrogée en sa présence alors qu’elle était détenue en Égypte en décembre 2009. Une personne familière du dossier met en cause la nature des informations récoltées, des renseignements fournis par la DCRI difficiles à faire entrer dans une procédure judiciaire.

Me Garbarini avance une autre piste. La lenteur de l’enquête pourrait provenir du changement de régime en Égypte et donc du renouvellement des interlocuteurs pour les services français. En 2009, un attaché de sécurité intérieur était présent à l’ambassade de France, Olivier Odas. Joint par Owni, il refuse de commenter cette affaire insistant sur son rôle d’abord “la coopération ouverte et non des missions de renseignement” du Service de coopération technique internationale de police (SCTIP) auquel il était rattaché. Il avait été entendu le 24 février, deux jours après l’attentat, par la commission des affaires étrangères du Sénat, dans le cadre de la rédaction d’un rapport sur “Le Moyen-Orient à l’heure nucléaire”. Une partie était consacrée à la menace d’Al Qaida au Proche-Orient, notamment en Égypte.

Rédigé par deux sénateurs, Jean François-Poncet et Monique Cerisier ben Guiga, le rapport rejette l’hypothèse d’un attentat aveugle et reprend prudemment la thèse des représailles :

Mme Monique Cerisier-ben Guiga a précisé que, d’après les informations fournies sur place, l’attentat du 22 février dernier au Caire a probablement été le fait d’un petit groupe de terroristes improvisés. La bombe était artisanale, d’une puissance explosive faible. L’attentat n’a pas été revendiqué. (…) Les Français étaient-ils visés ? Il paraît probable que la France ait été ciblée, compte tenu de l’amitié proclamée entre le Président Moubarak et le Président Sarkozy et de l’envoi de la frégate Germinal au large de Gaza pour mettre fin à la contrebande par voie de mer. Mais cela ne peut être prouvé, du moins pour l’instant.

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Dailymotion terre de Jihad a priori http://owni.fr/2012/06/05/dailymotion-terre-de-jihad/ http://owni.fr/2012/06/05/dailymotion-terre-de-jihad/#comments Tue, 05 Jun 2012 13:50:22 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=111701

Dailymotion est “un entrepôt de vidéos jihadistes”. L’assertion a de quoi surprendre. Elle émane d’un centre de recherche privé américain, le Middle East Media Research Institute (Memri), spécialiste autoproclamé de la surveillance de la menace jihadiste. Composé en grande partie d’anciens militaires israéliens, il dissèque médias, sites et forums. Cette fois, c’est Dailymotion qui en prend pour son grade. Selon les deux chercheurs du Memri :

Malgré l’interdiction française – ainsi que sa propre politique sur les propos appelant à la haine et l’incitation à la violence – Dailymotion héberge une mine de contenus jihadistes.

Sans jamais pointer directement la responsabilité du site, les auteurs désignent “la large variété de vidéos jihadistes disponibles sur Dailymotion, allant des publications de médias officiels d’Al-Qaida, des Taliban et d’autres groupes jihadistes (…) à des discours de personnalités radicales”. À l’appui, ce propos, glané sur un forum proche de la mouvance jihadiste, Shumoukh Al-Islam :

Pour votre information, mes frères, le site Dailymotion est excellent, car il accepte des vidéos dans la plupart des formats, rmvb compris, et il accepte toutes les durées. J’ai uploadé le film La Takulif Lia Nafsak en intégralité, sans le diviser en plusieurs segments. L’un des avantages [de Dailymotion] est qu’il réprime moins que YouTube, qui a déclaré la guerre à tout ce qui peut être lié au djihad en supprimant les fichiers.

Pour démontrer la véracité de leur propos, les deux chercheurs sont allés fouiller le site de partage de vidéos pour en sortir la substantifique moelle jihadiste. Ils présentent plusieurs comptes diffusant des “vidéos violentes incitant au jihad armé produites par les médias liés à Al-Qaida (…) uploadées [sur Dailymotion] quotidiennement”. Ainsi que le film, La Tukalif Ila Nafsak, envoyé le 6 juin sur le “YouTube français”, surnom donné par Business Insider comme le signale le rapport dans les premières lignes.

Étoile montante

Labellisée As-Sahab, l’un des organes médiatiques d’Al-Qaida, il “appelle les musulmans de partout, mais surtout en Occident, à attaquer des cibles et intérêts occidentaux”, note les deux auteurs. Et de citer cet extrait de Abu Yahya al-Libi, jeune leader d’Al-Qaida et étoile montante du cyberjihad :

Quiconque mène une opération en solitaire aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en France ou dans tout autre pays qui combat ouvertement et attaque les musulmans, doit savoir qu’il fait partie du jihad de ses frères musulmans, et que son opération – si elle est convenablement menée – n’est pas moins importante que les opérations menées sur les champs de bataille.

Dailymotion, entrepôt de vidéos jihadistes. L’expression fait presque rire au sein de l’entreprise française. Giuseppe Demartino, son secrétaire général contacté par email, balaie les accusations d’un revers de la main et renvoie vers le responsable communautaire, à la tête de l’équipe de modérateurs. Alexandre Makhloufi se dit “surpris” et affirme n’avoir jamais eu l’impression “d’être un repère de vidéos jihadistes” :

Le terme est un peu fort… Nous faisons notre maximum. Cinq personnes veillent la journée, tous les jours, deux la nuit. Les contenus signalés par les utilisateurs sont vérifiés, mais ils concernent la plupart du temps le non-respect des droits d’auteur et les contenus pornographiques, qui ont une durée de vie très courte sur Dailymotion.

Une histoire d’hébergeurs (2/2): et la liberté d’expression?

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Suite et fin d' "Une histoire d'hébergeurs", par le juriste Benoit Tabaka, qui revient sur la création du concept de ...

La diffusion de pornographie n’est pas interdite par la loi, mais proscrite par les règles internes du site. “Les contenus odieux”, que les internautes sont invités à signaler, sont eux illicites. Ils concernent “l’apologie des crimes contre l’humanité, l’incitation à la haine raciale, la pornographie enfantine, l’incitation à la violence, l’atteinte à la dignité humaine.” Des catégories dans lesquelles rentrent certains contenus jihadistes, notamment l’appel à la haine raciale et l’incitation à la violence.

Signalés

De part son statut d’hébergeur, régi par la loi de 2004 pour la confiance en l’économie numérique (LCEN), Dailymotion ne peut être tenu responsable des contenus diffusés sur sa plateforme que s’ils ont été signalés.

“La modération a priori serait techniquement très compliquée, plus de 20 000 vidéos sont envoyées chaque jour” poursuit Alexandre Makhloufi. La modération a posteriori d’un contenu signalé par les utilisateurs est en revanche obligatoire. Et les demandes affluent. En cas de signalement, l’équipe se veut réactive :

Il nous faut deux heures environ pour traiter les signalements, vérifier le non-respect éventuel et décider du retrait.

Très peu de temps après l’arrestation des membres du groupe radical français Forsane Alizza, leurs vidéos avaient été retirées de Dailymotion. Alexandre Makhloufi dit ne pas se souvenir de cet épisode en particulier, intervenu peu après l’affaire Merah dans un contexte de crispation sécuritaire. Lui chapeaute l’équipe, dont les membres ne sont pas spécialisés sur un sujet plutôt qu’un autre, ce qui explique que du contenu estampillé As-Sahab, le label médiatique d’Al-Qaida, se balade librement dans les tuyaux.

Le jihad selon Twitter

Le jihad selon Twitter

Après les sites d'information et les forums spécialisés, les jihadistes investissent les réseaux sociaux, Twitter ...

Les cyberjihadistes l’ont bien compris. Après avoir investi les blogs et les forums, ils utilisent de plus en plus les réseaux sociaux, qui présentent l’avantage d’être moins centralisés. Nombre de forums ont été fermés, ou fermés puis “réouverts” par les services de sécurité.

El Fallujah, un forum en arabe très populaire chez les jihadistes, s’est sabordé il y a deux ans, détaille Dominique Thomas, chercheur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. Al Hizbah, autre forum proche de la mouvance, avait quant à lui disparu du jour au lendemain, avant de réapparaître, soupçonné d’être administré par les services saoudiens qui ont développé une cellule dédiée à la lutte contre le cyberjihadisme.

Les réseaux sociaux, Dailymotion, Facebook et Twitter, font courir moins de risques aux cyberjihadistes qui ont habillement su combiner contraintes sécuritaires et idéologies, souligne Dominique Thomas :

L’espace internet est corrompu mais les jihadistes mettent des limites dans cet espace qui est “hallalisé”. L’utilisation des réseaux sociaux a pu poser problème parce qu’il s’agit d’un sous-ensemble, ils utilisent quelque chose qui a déjà été créé et qui n’est pas “hallal”. Ils ont finalement créé une bulle vertueuse, non corrompue par la décadence, qui n’est pas territoriale mais virtuelle dans un espace corrompu.

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Trévidic : “Le jihad n’a pas attendu Internet” http://owni.fr/2012/05/30/marc-trevidic-le-jihad-na-pas-attendu-internet/ http://owni.fr/2012/05/30/marc-trevidic-le-jihad-na-pas-attendu-internet/#comments Wed, 30 May 2012 19:43:42 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=111905 "Ce n’est pas parce qu’une personne joue à Call of Duty 4 ou 5 qu’elle va devenir folle et tuer des gens", nous affirme le juge Marc Trévidic. Owni s'est entretenu avec le magistrat du pôle antiterroriste sur les réalités du cyberjihad.]]>

Le juge Marc Trévidic à Paris en novembre 2010. Portrait par © Marc Chaumeil / Fedephoto

22 mars. Mohamed Merah abattu par les hommes du Raid, Nicolas Sarkozy fait une déclaration depuis l’Elysée : la consultation de “sites internet qui font l’apologie du terrorisme” sera dorénavant sanctionnée. Un projet de loi a depuis été déposé au Sénat. Le cyberjihadisme fait une entrée fracassante dans l’agenda politique et médiatique.

Owni a voulu recueillir l’analyse d’un magistrat familier de ces affaires. Marc Trévidic est juge d’instruction au pôle antiterroriste du Tribunal de grande instance de Paris, seule juridiction compétente en matière terroriste. Il s’est spécialisé sur les dossiers jihadistes en plus de quelques autres gros dossiers (Karachi, Rwanda, moines de Tibéhirine). Il revient ici sur l’utilisation d’Internet par les jihadistes, le cyberjihadisme ou “jihad médiatique”, nouvel avatar de la menace terroriste selon les acteurs politiques.

Comment a émergé le cyberjihad ? Est-ce, comme certains l’analysent, lié à la perte du territoire afghan en 2001 qui a entraîné un repli des jihadistes sur une autre base arrière ?
La loi contre les web terroristes

La loi contre les web terroristes

Le projet de loi sanctionnant la simple lecture de sites Internet appelant au terrorisme devrait être présenté demain en ...

Le conflit irakien a surtout servi de déclencheur, plus que la perte de l’Afghanistan en 2001. Les jihadistes ont très vite perçu le profit qu’ils pouvaient tirer du réseau. D’abord, l’intervention anglo-américaine était illégitime du point de vue du droit international public. Ensuite, ils ont pu utiliser les exactions commises par l’armée américaine, comme à Abou Ghraïb par exemple. Des brigades, armées de caméra, cherchaient à obtenir ce genre d’images pour les diffuser ensuite sur Internet. Le début du cyberjihad commence donc plus avec l’Irak qu’après la chute du régime Taliban. En Irak, le djihad était mené à 100%, dans les villes et sur Internet.

Quel est le rôle du cyberjihad ?

Le principal objectif est la diffusion de la propagande, puis le recrutement. Lors du conflit irakien, les jihadistes menaient un double conflit majeur, à la fois contre les soldats de la coalition anglo-américaine et contre les chiites. Ils avaient donc besoin de beaucoup de troupes et de chairs fraiches.

Dominique Thomas, chercheur spécialisé sur les mouvements islamistes radicaux, parle de la volonté de créer des sphères de sympathisants, plutôt que de recrutement.

L’idée est de sensibiliser une population radicale. Au sein de cette population peut émerger un candidat au jihad. C’est une guerre de l’information, les cyberjihadistes parlent souvent de “réinformation”. Le volet recrutement existe aussi, pour envoyer des gens sur le terrain faire le jihad.

“Les loups solitaires”, entièrement isolés, formés sur Internet, existent-ils ?

Dans toutes les affaires que je connais, les protagonistes sont toujours en contact avec d’autres. Ils rencontrent d’autres jihadistes, se connaissent entre personnes de la même mouvance. Je n’ai pas connaissance de cas de terroriste islamiste entièrement isolé. C’est un petit milieu ! Tout le monde se connait.

Cyberjiadhistes et jihadistes sont-ils les mêmes personnes ? Ont-ils des profils différents ?

Tous sont cyberjihadistes. Le passage à l’acte, les départs sur zones sont extrêmement minoritaires. La radicalisation est progressive : la radicalité des jihadistes varie selon leur situation. Ils ne tiennent pas les mêmes discours avant le départ, pendant leur séjour sur zones et à leur retour. Le jihad n’a pas attendu Internet. Dans les années 1990, les filières d’acheminement de combattants en Afghanistan se développaient sans utiliser Internet.

Le milieu des années 2000 semble être l’apogée des sites liés au jihad. Certains étaient très connus, comme Minbar ou Ribaat, et des figures proéminentes s’en occupaient, notamment Malika El Aroud et son mari Moez Garsallaoui.
Le bug du cyberjihad

Le bug du cyberjihad

Nicolas Sarkozy est parti en croisade contre les sites Internet terroristes. Mais une instruction ouverte dès 2010 ciblait ...

Le nombre de sites a explosé après la guerre en Irak. L’utilisation d’Internet s’est codifiée. Le Global Islamic Media Front est chargé de contrôler et d’authentifier le contenu diffusé sur les sites avec le label d’Al-Qaida. Mais la vivacité des sites dépend du contenu qui arrive du terrain. La concurrence entre les sites crée de l’émulation. C’est la loi de la concurrence ! De cette émulation naît de la radicalité. Les sites apparaissent, se multiplient avec le conflit irakien et deviennent de plus en plus radicaux dans la propagande qu’ils diffusent.

Internet apparaît dans presque toutes les affaires, comme moyen de communication entre les jihadistes. Jusqu’à maintenant, un caractère opérationnel était toujours observé dans ces échanges. L’aide matérielle est présente dans toutes les affaires.

Le projet de loi présenté par l’ex gouvernement [Fillon], changerait ce principe en pénalisant la consultation de sites terroristes.

Il faudra définir la liste des sites terroristes, ceux qui posent certains problèmes. La définition repose sur le trouble grave à l’ordre public à même de semer la terreur [Définition des actes terroristes dans le code pénal français, NDLR]. Il faudrait plus généralement poser la question de l’influence des images violentes diffusées à la télévision ou sur Internet. Ce n’est pas parce qu’une personne joue à Call of Duty 4 ou 5 qu’elle va devenir folle et tuer des gens ! Le passage à l’acte à cause de jeux vidéo violents est marginal, si marginal qu’aucun enseignement ne peut être tiré à cette marge.

Le cyberjihadisme, dans son volet de propagande, doit-il sortir du champ de l’antiterrorisme ?

Comme je l’ai signalé à l’occasion de mon audition au Sénat, l’utilisation de la qualification terroriste, et des moyens afférents, a explosé, souvent à mauvais escient. Il y a deux problèmes différents : sensibiliser la population au risque de la violence diffusée notamment sur Internet d’une part, et lutter contre les actes terroristes d’autre part.

Capture d'écran de Call of Duty Modern Warfare 3


L’entretien avec Marc Trévidic a été réalisé le 2 mai 2012.
Portrait de Marc Trévidic par © Marc Chaumeil / Fedephoto / Capture d’écran de Call of Duty CC by-nc-sa psygeist

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