OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La Justice ne se signalera plus http://owni.fr/2012/09/21/affaires-signalees-direction-affaires-criminelles-graces-procureurs-justice/ http://owni.fr/2012/09/21/affaires-signalees-direction-affaires-criminelles-graces-procureurs-justice/#comments Fri, 21 Sep 2012 13:44:40 +0000 Guillaume Dasquié http://owni.fr/?p=120460

C’est peut-être une révolution de palais. La Circulaire ministérielle du 19 septembre adressée à tous les procureurs généraux de France proclame la fin des instructions individuelles. Une manière élégante pour la ministre de la Justice d’indiquer qu’elle ne favorisera plus la pratique des “affaires signalées”.

Dans le jargon de la justice, cette expression – “affaires signalées” – désigne les dossiers trop sensibles aux yeux du pouvoir exécutif pour qu’il ne transmette pas de discrètes requêtes et d’amicales suggestions aux magistrats chargés de les suivre. Les fameuses instructions individuelles.

Intrinsèquement, la gestion de ces “affaires signalées” viole – au moins dans les principes – la sacro-sainte séparation des pouvoirs, supposée garantir l’impartialité de la Justice. Tandis qu’elle conditionne de facto la carrière des procureurs, nommés par le pouvoir politique. Ce dernier appréciant, c’est humain, les agents serviles. La ministre de la Justice Christiane Taubira, désireuse, semble-t-il, d’en finir avec ces pratiques un peu déshonorantes pour la République, a décidé de limiter les prérogatives de son propre cabinet. Désormais, selon sa circulaire :

Le garde des Sceaux (…) définit la politique publique du ministère, au premier rang de laquelle se trouve la politique pénale. Il fixe des orientations générales et impersonnelles. Les instructions ne porteront donc plus sur un dossier individuel, de manière à rompre avec les pratiques antérieures sur ce point.(…) Absence d’instructions individuelles : la clarté de cette politique implique qu’elle soit sans exception.

En termes pratiques, il s’agit d’enquêtes judiciaires en cours que le pouvoir politique s’autorise à connaître par l’entremise de la Direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice, au motif que les personnes citées dans ces enquêtes, de part leurs responsabilités, leurs amis ou leur trajectoire, justifierait un traitement dérogatoire.

Dans de tels cas, les procureurs généraux – à la tête de l’administration de la Justice dans chaque circonscription – s’informent des développements de l’enquête et l’orientent selon les vœux du cabinet du ministre, à travers les fameuses instructions individuelles que transmet la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG).

Longtemps tabou, l’institutionnalisation des interventions politiques par le biais des “affaires signalées” a commencé à préoccuper les milieux judiciaires en novembre 2010. Lorsque la revue J’essaime, éditée par le Syndicat de la magistrature, a publié un témoignage éloquent d’un membre de la DACG, décrivant comment sur tel ou tel dossier les procureurs s’arrangeaient pour plaire au pouvoir en place.

Au fil de cet entretien, où l’identité du magistrat a été protégée, se révèlent quantité de petits arrangements qui ponctuent d’ordinaire leurs réunions. On y apprend comment les membres du cabinet ministériel, les procureurs et les fonctionnaires de la DACG s’échangent – certes dans de rares occasions – des messages et des bons conseils pour épargner un justiciable ou en accabler un autre :

Parfois on nous demande de faire une fiche sur une personne dans une affaire. Là on comprend bien que c’est un usage privé, soit que la personne est reçue par le garde des Sceaux, soit qu’il y a une demande d’intervention le concernant (…) Souvent la DACG est informée de faits très sensibles. Un jour, un parquet général nous apprend qu’une perquisition allait avoir lieu chez un homme politique du même bord que le garde des Sceaux. Le chef de bureau courageux avait pris soin de n’en informer le cabinet qu’une fois que la perquisition avait commencé. Le procureur général ne s’était pas posé de questions, il avait informé la Chancellerie dès qu’il l’avait su.

Un coup de tonnerre. D’autant que la parution de ce témoignage choc précédait de trois semaines un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme condamnant la France pour le manque d’indépendance de ses parquets.

Le 23 novembre 2010 en effet, la Cour de Strasbourg examinait une affaire criminelle instruite à Toulouse et confirmait qu’un procureur français ne pouvait se prévaloir d’être indépendant dans l’exercice de ses fonctions. À l’époque, ces deux épisodes avait achevé de convaincre les professionnels de la justice des effets pervers de la suppression du juge d’instruction, alors proposée par la ministre Michèle Alliot-Marie.

Un peu plus tôt, le juge Renaud Van-Ruymbeke, au détour d’une discussion avec les lecteurs du site lemonde.fr portant notamment sur l’existence de pressions à l’encontre des fonctionnaires de la Justice, avait illustré ces réalités :

À titre personnel, je n’en ai jamais subi [de pressions]. Par contre, au niveau du parquet, elles sont possibles. Dans les affaires sensibles, dites “signalées”, le parquet doit rendre compte. Je rappelle que les juges d’instruction ne peuvent instruire des dossiers que lorsqu’ils en sont saisis, et les affaires politico-financières qui se sont développées dans les années 1990 ont montré que les parquets étaient réticents à confier des dossiers au juge d’instruction et à étendre en cours de route leur saisine. Ces mécanismes ont montré des risques d’étouffement en amont des affaires signalées.

La circulaire de Christiane Taubira, annonçant la fin des instructions individuelles, marque une rupture évidente avec les pratiques passées. Cependant, pour être crédible, ses services devront tirer toutes les conséquences de cette orientation. En particulier en fixant le sort de la base de données des “affaires signalées” récemment mis à jour dans les serveurs du ministère de la Justice.

C’est une délibération de la Cnil du 16 février 2012 qui a révélé son existence. Susceptible d’enregistrer des données individuelles depuis février 1994, “ce traitement a pour objet l’enregistrement et la conservation des informations relatives aux affaires signalées à la direction [la DACG] par les procureurs généraux, et contribue à la définition de l’action publique du ministère de la justice” affirme la Cnil. Un système contre-nature dans un ministère soucieux d’en finir avec les instructions individuelles.

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Photo originale par Pulpolux [CC-bync]

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Arnaques, crime et journalisme http://owni.fr/2010/08/18/arnaques-crime-et-journalisme/ http://owni.fr/2010/08/18/arnaques-crime-et-journalisme/#comments Wed, 18 Aug 2010 08:12:11 +0000 Matthieu Amaré http://owni.fr/?p=25015 La corruption politique en Europe est (re)devenue le feuilleton de l’été. Confrontés aux révélations colportées par la presse, les gouvernements de la Vielle Europe fustigent voire musèlent un espace médiatique dont ils redoutent l’influence. Toutefois, la tendance est partagée. Si en Grande-Bretagne, en Allemagne et en Pologne, les enquêtes médiatiques poussent les gouvernements à la démission, en France et en Italie, l’information n’a pas d’odeur.

Informer tue. Surtout quand on s’amourache trop avec les milieux mafieux. Tel un bon vieux pastiche de polar des années 1930, un journaliste grec « qui a dévoilé de nombreuses affaires » selon le quotidien hellène Ta Nea, a été assassiné à l’arme automatique le 19 juillet dernier. D’après les enquêteurs, Sokratis Giolias aurait en réalité été abattu par un groupuscule terroriste nommé « La Secte des révolutionnaires ». La vérité, c’est que le journaliste et blogueur sur Troktiko a payé de sa vie sa curiosité, qui a révélé l’état de corruption dans lequel végète actuellement le gouvernement grec.

La presse met la pression

Mais le fléau ne s’arrête pas aux frontières de la Grèce. Le dernier rapport de l’ONG Transparency International divulgue que la corruption est une pratique qui touche toute l’Europe. Et ce sont la Grèce, l’Italie et l’Espagne qui s’avèrent être les plus touchés. A tel point que le 6 mai dernier, le Parlement européen a adopté une déclaration demandant une politique claire de la part de l’UE envers ce phénomène. Mais sans attendre, ce sont les médias qui ont décidé de mettre en lumière les pratiques de gouvernements souvent trop opaques. Et ce, par les mots. Donc sans sulfateuse…

Le Daily Telegraph a publié des notes de frais scandaleuses faites par les députés britanniques | Dans le best-of, la tondeuse à gazon d’Alan DuncanDès 2009, le travail du Daily Telegraph a permis de révéler un scandale financier sans précédent en Grande-Bretagne qui a abouti à la démission du speaker de la Chambre des communes. A mesure que le quotidien britannique distillait de nouvelles informations, le gouvernement de Gordon Brown sombrait dans la plus basse humiliation politique. En achetant un disque dur contenant les notes de frais de tous les parlementaires britanniques, le Daily Telegraph a démontré que les députés s’étaient fait rembourser jusqu’au papier toilette, à la nourriture pour chats et aux tondeuses à gazon. En utilisant l’argent public. Of course.

17,5 millions d’euros de pot-de-vin

Plus tôt en 2002, les médias polonais ont dévoilé le plus grand scandale de corruption du pays depuis son émancipation postcommuniste. Adam Michnik, le rédacteur en chef du plus influent journal polonais, Gazeta Wyborcza, a décidé de publier en première page le rapprochement un peu trop crapuleux qu’aurait intenté un producteur, Lew Rywin, sur le contenu éditorial de la publication. Rywin propose 17,5 millions d’euros de pot-de-vin à Michnik et déclare agir au nom d’un groupe détenteur du pouvoir, en l’occurrence des gens du SLD (Alliance de la gauche démocratique), le parti de l’opposition. L’information déclenche un tel séisme politique que, pour la première fois en Pologne, une commission d’enquête parlementaire est créée. Ses interrogatoires, publiés en direct sur la télévision polonaise, ont sensibilisé l’opinion publique à la corruption. Désormais, plusieurs politologues avancent que le « Rywingate » a permis de soulever une véritable boite de Pandore, tant les liens criminels de la politique polonaise avec le milieu des affaires et les officines mafieuses sont tenaces.

En Europe, une influence médiatique différenciée

Si les affaires de corruption sont débattues sur la place publique, c’est par l’entregent de la presse. Laquelle a plus ou moins d’impact selon les pays européens. Exemple positif : la presse britannique. L’ancien ministre du Budget David Laws a démissionné du gouvernement dès lors que le (décidément insolent) Daily Telegraph a révélé qu’il avait perçu indûment 40 000 livres, soit environ 47 000 euros, provenant de diverses notes de frais. Encore plus percutant, l’Allemagne, où il a suffit d’une phrase pour que Horst Köhler, l’ancien président de la République Fédérale Allemande, démissionne à mi-mandat. Si une ligne suffit dans la presse allemande, les médias français et italiens ont écrit des livres. Et toujours rien. Même si une once de ras-le-bol commence à poindre…

En Italie, le silence est d’or alors on se tait


Vendredi 11 juin 2010, en Une de La Reppublica, quotidien italien de centre-gauche, un carré jaune sur fond blanc, symbolisant un post-it, porte l’inscription : « La legge- bavaglio nega ai citadini il diritto di essera informati » (« La loi-bâillon nie le droit d’information des citoyens »). Tous les médias nationaux ont fait front contre ce projet de loi initié par Silvio Berlusconi, destiné à sanctionner les journaux qui révèleraient le contenu d’écoutes téléphoniques. Le président du Conseil a bien failli obtenir l’impunité maximale. Mais la presse, en jouant au roi du silence, a drainé un vent d’indignation populaire suffisant pour que le Cavaliere rue et fasse machine arrière.

Trotskistes ou fascistes, la presse désavouée en France

Comme un simple coup de fil franco-italien, ce sont bel et bien les écoutes prises par le majordome de la troisième richesse de France, Liliane Bettencourt, puis publiées par Médiapart, qui ont ébranlé le petit monde politico-médiatique français.

Sans ces écoutes, le site Médiapart n’aurait pas pu avancer que la campagne de Nicolas Sarkozy aurait, selon les révélations de l’enregistrement, été financée de manière détournée. Et la justice n’aurait pas ouvert une enquête. De fait, les politiques, dénudées, se sont arc-boutés dans l’insulte : « Trotskistes », « fascistes » ; la classe dirigeante n’a pas eu de mots assez forts pour qualifier le travail d’investigation des médias. « Ça suffit », a martelé Eric Woerth, lourdement suspecté de conflits d’intérêts entre son précédent poste au ministère du budget et ses relations avec Bettencourt. Et depuis une semaine, la presse française et européenne souligne que le gouvernement joue sur l’affect des Français pour farder « l’Affaire ». Même plus besoin de loi bâillon. En Angleterre, Eric Woerth aurait immédiatement démissionné.

Illustrations CC FlickR : Lawrence OP, Herby Hönigsperger et ~BostonBill~

Illustration Woerth : Toad

Article initialement publié sur cafebabel.fr

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